Qui sommes nous ? Que sommes nous devenus ? Telles sont les questions auxquelles Ralf König tente de répondre dans Homo Erectus, un album sur l’évolution de l’Homme. Toujours avec malice et humour.
Homo erectus : le mystère de l’évolution selon Ralf König
Qu’est-ce que l’homme ? D’où venons nous ? Depuis quand existons-nous et comment avons nous fait pour nous élever au dessus de toute autre créature ? Et pourquoi, au termes de millions d’années d’évolution, sommes nous toujours aussi cons ? Le chemin qui a conduit l’Homo con, mais plein d’espoir, à l’Homo encore plus con est sans aucun doute…. Le plus grand mystère de l’évolution !
Ainsi se présente la préface d’Homo Erectus, en deux pages et six dessins, qui pose le sujet du dernier ouvrage de Ralf König. Nous voilà prévenu, cette immense auteur, qui depuis toujours, nous avait à plusieurs reprises, fait comprendre, d’une part, et notamment au travers ces relectures des grandes religions monothéiste, qu’il était assez peu friand des scénarios créationnistes, pas du tout partisans des dogmes religieux quels qu’ils soient, Konig, cet auteur dont l’œuvre (Les onze mille vierges, Mignardises, Ralf & Paul, Choco-Boys) est uniquement marqué du sceau de la tolérance et du respect des orientations sexuelles et comportementales des individus, n’a, d’autre part, eut de cesse de prôner la liberté d’être ce que l’on désire, l’acceptation de l’autre dans ces différences etc. Vous voyez le genre ?
L’évolution sous la plume acerbe de König
Dis comme ça c’est beau, presque angélique, mais sous la plume et le crayon de König, c’est en souvent désopilant, et particulièrement acerbe. Car l’auteur quelques soit les sujets qu’il aborde, ne tire jamais à boulet rouge gratuitement, trivialement, sans considérer les dilemmes psychologiques qui assaillent les protagonistes qu’il met en scène, sans souligner les dysfonctionnements sociétales que deux points de vu antagonistes induisent.
König fait de la sociologie, parfois même de l’anthropologie, à sa manière, c’est à dire avec beaucoup d’humour, de discernement et un trait caricatural qui lui est propre.
Donc voilà, il fallait s’y attendre, Ralf König s’attaque au mystère de l’évolution de l’espèce humaine, et encore une fois, comme toujours, l’exposé est brillantissime et cinglant.
Homo erectus : tragédie humaine
Un couple de touristes allemands bedonnants, en maillot de bain, tongues, et lunettes de soleil, s’est égaré dans la savane. Au pied d’un arbre majestueux, il débute un échange, une conversation, avec un chimpanzé assis sur une branche. Celui-ci leur annonce l’ouverture imminente du « Théâtre des singeries ».
Un autre primate arrive, la conversation suit son cours, et les deux singes s’étonnent alors de voir et de comprendre que ces deux touristes perdus, qui se prétendent Homo-sapiens (l’homme sage et raisonnable) sont ni plus, ni moins, que le futur de leur propre évolution. L’un des deux tient alors à leur signaler que tout aurait débuté avec deux Australopithèques, qui en des temps lointains, au pléistocène, eurent l’idée saugrenue et totalement innovante à l’époque, de descendre de leur arbre, pour aller pisser sur son tronc, dresser sur leur pattes arrière. Affirmation douteuse qui réclame une démonstration plus convaincante…
Mais chut, prenez place, c’est l’heure de la représentation! Un public de primates se joint à nos deux touristes, et tous prennent place au pied de cet arbre. Donnez les trois coups, Homo-Erectus, une tragédie Humanoïde, peut commencer… !
Spectacle drôlatique
Ah non encore autre chose avant, présentation des personnages, et là d’entrée, on jubile aux facéties que cette présentation promet. Il y a Grog, un sauteur occasionnel, Ping, un chercheur en innovation, Effi, une féministe altersexuelle, Peffi la compagne d’Effi, le mâle Alpha, qualifié de fin de série, Zippo le pyrotechnicien, Erec, toison dure et plan d’avenir, Flop le pessimiste culturel, et Rob, désespérément autre, celui de la troupe qui s’apparente le plus au prétendu Homo-sapiens moderne.
Voilà, maintenant c’est bon, Homo-Erectus, une tragédie humanoïde, peut vraiment commencer… et ne comptez pas sur moi pour vous en spoiler le déroulement de ce spectacle.
Quand à l’intrigue nous la connaissons tous, elle réside dans le plus grand mystère de l’évolution.
Extraits choisis
Mais comment diable est-ce que König, cet auteur, connu pour son parti-pris gay-friendly, pour son homosexualité depuis toujours pleinement assumée, et pour avoir fait de toute son œuvre une tribune ouverte pour la défense des minorités homo, comment diable cet auteur va -t-il s’y prendre pour dénouer cette intrigue qui porte sur l’évolution passée de l’espèce humaine, et donc induit de fait, le principe de reproduction ?
Et quoiqu’on en pense, et c’est scientifiquement prouvé, la reproduction de l’homme c’est jusqu’alors faite par gonochorisme, et non par scissiparité, ni par parthénogenèse. Peut-être demain le clonage, mais j’ai cru comprendre que ce n’était pas encore au point. Quoiqu’il en soit König s’en tire comme un chef pour filer cette intrigue, pour résoudre ce mystère, et ce récit de 187 pages suffit pour retracer plusieurs millions d’années d’évolution, en une succession de scénettes impayables.
Extraits choisis : Flop, un mâle, s’interroge sur le succès que pourrait rencontrer de nouvelles pratiques sexuelles dans le groupe. Se voyant bien lécher les grelots d’un autre mâle, Erec.
Effi, la femelle, jamais honoré par le mâle dominant, lui apprend alors qu’il y a bien longtemps, qu’elle et sa comparse, Peffi, se lèchent mutuellement le divertissoire, comme l’appelle les mâles, comprenez la vulve.
Les femmes interdites d’évolution, vraiment ?
On assistera ensuite à la rivalité entre le mâle dominant d’un côté, dont il se murmure qu’il n’a plus la force d’honorer les femelles du groupe, et Ping l’innovateur ingénieux qui avec la complicité d’Erec, vont chercher à imposer la posture debout, avec de sérieux arguments en faveur de la survie de l’espèce.
On suivra également la révolte des femelles, regroupées dans l’arbre à femmes, qui déjà en voie de soumission, se voient interdite de s’élever sur leur pattes arrière, et d’avoir donc la possibilité de développer leur cerveau, parce que bon merde, se sont des cueilleuses et non des chasseuses après tout. Elles opteront pour la dissimulation de leur ovulation en guise de protestation, pour cesser d’envoyé le signal ostentatoire de la vulve gonflée, turgescente, qui signale au mâle dominant qu’il peut oeuvrer pour la reproduction. Mais la banalisation de ce stratagème n’est pas simple, et prendra du temps, car certaines femelles taxées de carriéristes, continuent d’exposer leur diverstissoire écarlate au nouveau mâle dominant. Seulement si les femelles cachent leur ovulation, masquant ainsi leur consentement, les nouveaux mâles vont bien vite se sentir autorisés à copuler quand bon leur semble pour sauver l’espèce bien entendu.
Le temps passe et bientôt le concept de mâle dominant n’est quasiment plus de mise, Erec avec ses gros grelots et son tempérament péremptoire, despotique, autoritaire commence à imposer de nouvelle règle de vie. Après la posture debout vient le changement de régime alimentaire, pour faire comme les autres prédateurs. Devenir carnivore.
Et l’homo erectus Devint carnivore
L’espèce descendue de son arbre, se tenant debout, dont les femelles sont pourvues de nouveaux attributs, des poches à lait en lieu et place des tétines, désormais devenu carnivore, et allant même jusqu’à maitriser le feu pour faire cuire sa nourriture, l’espèce va alors voir débarquer dans le paysage, Rob et les siens, des Australopithèques Robustus. Une nouvelle espèce qui a sans doute suivie une autre voie d’évolution, et qui se présente debout, elle aussi, massive, moins poilue, docile, et surtout toujours équipé d’un os pénien. Flop n’y tient plus et tombe sous le charme de Rob. Une sorte d’idylle va naître, qui n’aura sans doute guère d’incidence sur l’évolution de l’espèce, mais qui permet une fois encore à König de rappeler que de tous temps les relations entre sujets de même sexe, n’ont jamais nuis à l’émergence de la raison, de la sagesse, et du bonheur, bien au contraire, et que ce serait plutôt l’ascendance d’un genre sur l’autre, qui aurait conduit l’homme à devenir aussi con.
Et donc nous voilà nous lecteurs à nous interroger dés la fin d’Homo Erectus, à nous demander si pour l’avoir lu de bout en bout, on se sens alors un peu moins con d’avoir été instruit et diverti par cette lecture, ou si l’on se sent juste complètement con d’être l’aboutissement de cette lente évolution, incapable de nous laisser aller à nos instincts primitifs. Un questionnement qui n’a pas fini de nous hanter… Merci M. König !
- Homo Erectus
- Auteur : Ralf König
- Editeur : Glénat
- Prix : 27,50 €
- Parution : 27 janvier 2021
- ISBN : 9782344040188
Résumé de l’éditeur : Lève-toi et marche ! Ah, le pléistocène ! La belle époque tout de même… On se contentait de peu de choses. Quand on regarde ce qu’on est devenu, on se dit qu’on n’a peut-être pas toujours fait les bons choix… La Bombe H, les génocides organisés, l’asphyxie de notre planète, ce genre de choses, vous voyez… Jetons aujourd’hui un brin de clarté sur les épineuses problématiques liées à notre évolution en suivant les pérégrinations d’une tribu d’australopithèques qui, en l’espace de quelques jours, retrace 5 millions d’années d’humanité. Rapide et efficace, mais peut-être un peu trop ? Parce que le progrès, c’est bien joli, mais on n’est pas obligé d’être tout de suite d’accord quand même. Descendre de son arbre pour se faire bouffer par un tigre à dents de sabre ? Non merci ! Passer à un régime carnivore pour augmenter la taille de son cerveau ? À d’autres ! Maîtriser le feu ?! Mais oui, bien sûr… Ralf König livre dans ces pages drôles et décalées un regard plein de bon sens sur notre société. Pour comprendre ce que nous sommes, comprenons comment nous le sommes devenus… Et autant que ça soit hilarant !
À propos de l'auteur de cet article
David Lemoine
Lecteur de BD depuis sa plus tendre enfance, David a fini par délaisser assez vite les classiques franco-belges, pour doucement voir ses affinités se tourner vers des genres plus noirs, plus grinçants, sarcastiques, trashs, violents, absurdes et parfois même décadents. Il grandissait en somme…. Fan de la première heure de Ranxerox et Squeeze the Mouse, il vénère aujourd’hui l’oeuvre d’auteurs Anglo-Saxon tel que Bendis, Brubaker/Phillips, Ben Templesmith, Terry Moore, Jonathan Hisckman, Ellis/Robertson, sans bouder son plaisir à la lecture des européens talentueux, francophone ou non, que sont Tardi, Ralf Konîg, Michel Pirus, Gess, les frères Hernandez, ou même Fred Bernard. La liste de ses amours dans le 9e art est loin d’être exhaustive, vous vous en doutez, et cela fait plus de 20 ans maintenant qu’il s’efforce de vous convaincre de les embrasser à travers ses chroniques radio qu’il vous livre chaque semaine dans l’émission XBulles sur les ondes de Radio Pulsar (http://www.radio-pulsar.org/emissions/thema/x-bulles/ / https://www.facebook.com/xbulles)”
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