Oken, Combats et rêveries d’un poète taïwanais

Pour son premier album, Shih-hung Wu a décidé d’adapter l’univers d’un de ses compatriotes taïwanais, le poète Yang Mu. Ainsi, en s’appropriant Mountain Wind and Ocean Rain, ce spécialiste de l’animation nous donne à découvrir l’Histoire de son pays. Elle est vue à travers les yeux d’Oken, le surnom de ce poète quand il était enfant.

Ce voyage, qui débute dans le Pacifique pendant la Seconde Guerre mondiale, nous entraîne dans l’incroyable univers visuel de son auteur grâce à ce magnifique album édité par Le Lombard.

Oken de Shih-hung Wu chez Le Lombard

Oken, la révélation du Prix Raymond Leblanc 2021

En juin 2021, à l’occasion du Prix Raymond Leblanc de la jeune création, on pouvait découvrir les premières planches et la couverture provisoire réalisées par Shih-hung Wu. Ce projet, présenté au concours, s’intitulait alors “Vent de montagne, pluie d’océan”. L’auteur, pour qui il s’agissait des premiers pas dans le monde de la bande dessinée, avait à cette occasion agréablement surpris les jurés du Prix. Et en particulier sa présidente, Loo Hui Phang.

Désigné gagnant de ce concours après plusieurs phases de sélections, le récipiendaire allait pouvoir compter sur l’aide et l’expertise d’une maison d’édition pour mener à bien son projet. En effet, lors de cette édition 2021 du Prix Raymond Leblanc, ce sont les éditions du Lombard qui, à tour de rôle avec Casterman et Futuropolis selon les années, allaient éditer son album.

Oken de Shih-hung Wu chez Le Lombard

Le début d’une aventure éditoriale avec Le Lombard

Le Prix, ainsi qu’une très généreuse dotation, allaient être remis à Shih-hung Wu lors de la cérémonie des Prix Atomium se déroulant dans le cadre du Comic Strip Festival de Bruxelles. L’auteur taïwanais rejoignait la liste de noms qui, depuis 2007, nous a permis de découvrir des auteurs alors débutants, tels que Maurane Mazars (Tanz 2018), Aude Mermilliod  (Les reflets changeants 2015) ou Grégoire Carle (Bas-fonds 2009)

Trois ans plus tard, le titre du projet de Shih-hung Wu est devenu “Oken, Combats et rêveries d’un poète taïwanais”. Mais les premières impressions quant au travail de son auteur sont toujours au rendez-vous. Le seul changement apporté est de pouvoir maintenant apprécier la beauté du dessin de l’auteur, non plus sur neuf planches, mais sur 208 pages.

Loo Hui Phang, qui en tant que script doctor, a aidé l’auteur dans son travail, souligne le fait que :

« Ses pages étaient impressionnantes de maîtrise graphique, dotées d’une poésie et d’un sens du storyboard très rares pour un auteur débutant ».

Oken de Shih-hung Wu chez Le Lombard

Oken, une histoire à travers l’Histoire

Cet album est donc l’adaptation de l’autobiographie du poète taïwanais Yang Mu, intitulée “Mountain Wind and Ocean Rain”. Dès les premières pages, l’auteur nous plonge pendant la Seconde Guerre mondiale sur l’île de Taïwan. C’est là où est né le jeune Oken, alors que l’endroit est occupée par le Japon depuis 1895.

Après l’attaque japonaise sur les forces navales américaines postées à Pearl Harbor, des raids aériens bombardent la ville de Hualien où résident Oken et ses proches. Obligée de quitter la ville, la famille se réfugie dans les montagnes pour être en sécurité. C’est là que va grandir Oken au milieu de la nature. Une nature à laquelle l’auteur va rendre un très bel hommage tout au long des pages de l’album.

Oken de Shih-hung Wu chez Le Lombard

Un retour à une autre vie

En 1945, après la reddition du Japon et l’arrêt des combats, la famille décide de retourner en ville. C’est ainsi qu’elle découvre les changements qui l’attendent. En effet, Taïwan étant devenue chinoise, il n’est plus question pour ses habitants de continuer à parler japonais. Dorénavant le mandarin est la langue officielle dans tous les pans de la société, à l’école, dans l’imprimerie du père et dans la famille.

C’est donc à travers les yeux d’un enfant, puis d’un adolescent, qu’on assiste aux soubresauts politiques qui vont secouer Taïwan. En effet, en 1949, le gouvernement nationaliste chinois de Tchang Kaï-chek, en guerre avec les communistes de la Chine continentale, s’installe sur l’île. Il y instaure ce qui deviendra une terrible dictature.

Les tremblements de terre fréquents à Taïwan, puisque située à la jonction de deux plaques tectoniques, vont, comme des métaphores, accompagner ces changements politiques. C’est à travers l’Art, dont il va progressivement faire la découverte, que Oken va grandir et se construire, en dépit de tous ces événements.

Oken de Shih-hung Wu chez Le Lombard

Oken, un incroyable travail graphique

L’émerveillement face au travail graphique réalisé par Shih-hung Wu était déjà présent lors de la présentation de son dossier pour le Prix Raymond Leblanc.  Mais il ne tenait que sur quelques pages. L’album terminé, on peut ainsi mesurer l’étendue des capacités de l’auteur, qu’il est parfois difficile de décrire, tant elles peuvent varier selon les situations.

La poésie du récit initial transparaît parfaitement bien sur les planches où il est question de nature. On ressent comme un respect et une volonté de la mettre en valeur en l’habillant de beaux dessins et de couleurs chatoyantes. Mais parfois, l’horreur reprend sa place dans la vie. C’est alors que le noir prend le dessus, comme pour occulter l’humain et laisser place à la désolation. Même ainsi, la beauté du trait et des couleurs de l’auteur arrivent à transparaître. Comme si une lueur d’espoir était toujours visible malgré les affres de l’Histoire.

Oken de Shih-hung Wu chez Le Lombard

Oken est un magnifique album à lire, mais surtout à contempler. Les nombreuses pages sans texte nous y aident parfaitement bien.

Article posté le lundi 18 mars 2024 par Claire Karius

Oken de Shih-hung Wu chez Le Lombard
  • Oken
  • Auteur : Shih-hung Wu
  • Editeur : Le Lombard
  • Prix : 23,50 €
  • Sortie : 02 février 2024
  • Pagination : 208 pages
  • ISBN : 9782808206198

Résumé de l’éditeur : La jeunesse d’Oken a bien failli s’achever dans les flammes de l’Histoire. Contraints de fuir Taiwan pour fuir les bombes américaines, le jeune garçon et sa famille trouvent refuge dans les montagnes. Mais contre la mélancolie, Oken possède une arme à nulle autre pareille : la poésie. Celle-là même qui lui permet de percer la beauté du monde, et de comprendre que la vie est telle une araignée d’eau : fragile, mais tellement élégante et fascinante.

À propos de l'auteur de cet article

Claire Karius

Passionnée d'Histoire, Claire affectionne tout particulièrement les albums qui abordent cette thématique, mais pas seulement. Elle aime également les lectures qui savent l'émouvoir et lui donnent espoir en l'Homme et en la vie. Elle partage sa passion de la bande dessinée dans l'émission Bulles Zégomm sur Radio Tou'Caen et sur sa page Instagram @fillefan2bd.

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