Qin Opéra

Qin Opéra, c’est un livre hors-norme. Hors-norme par sa conception, sa réalisation, sa lecture et son intrigue. Leporello s’ouvrant sur une longueur de 20 m, il raconte une histoire en une seule image. Hypnotique !

Un amour secret

Qingfengjie, en Chine, en 1949. Yinsheng est un habitant de ce village « Rue du vent frais ». Comme beaucoup d’hommes de la région, il est épris de Bai Xue, une très belle chanteuse d’opéra de Qin. Mais voilà, jamais il ne pourra l’approcher et lui avouer son amour. Un amour secret pour un homme dévasté.

« Quoi ? Bai Xue se marie ? »

Son chagrin se renforce avec la terrible nouvelle pour lui : la chanteuse va se marier avec Xia Feng. D’ailleurs, lors de la cérémonie, la famille de la jeune femme donnera une représentation de l’opéra de Qin à l’ensemble du village.

Yinsheng entre dans une colère noire

L’annonce est rude pour Yinsheng. Il hurle sa rage dans les rues du village, faisant peur aux habitants. Fou, il en perd même une dent qu’il décide de planter dans son jardin. Il pense ainsi que de sa dent naîtra un épineux qui ruinera le fameux mariage entre Bai et Xue.

De leur côté, les villageois préparent la représentation de l’opéra. La chanteuse lyrique est heureuse de voir que l’on se presse pour regarder le spectacle…

Qin Opéra : magistral leporello

Avant d’être un drame amoureux, Qin Opéra est un livre-objet de toute beauté. Dans l’écrin d’une belle couverture et d’un solide papier, le cahier central est composé d’une seule et unique feuille pliée en accordéon (leporello en italien). Pour notre plus grand émerveillement, elle se déplie sur une longueur de 20 m !

A l’image de La grande guerre de Joe Sacco, de la collection Façades des éditions Polystyrène ou de Jour blanc chez Allia, le lecteur, avec soin, déploie cette gigantesque fresque. Il en faut de la place pour pouvoir étendre tout cela. Il faut donc un grand couloir ou une grande maison pour tout apprécier d’un seul coup. Pas de panique pour le manque d’espace ! Il suffit de tourner les pages comme dans un livre classique.

Pourquoi déplier pour admirer ?

Bien sûr que la manipulation est importante dans cette plongée originale et dans l’émotion de déplier l’accordéon, mais l’histoire de Qin Opéra aussi est intéressante ! On y découvre qu’une simple création d’autoroute peut déstabiliser un village, que l’amour n’est jamais simple et que le parti communiste chinois joue un simple partition pour s’imposer.

Après Des assassins et la collection Petit Patayo, les éditions Patayo ont voulu rendre hommage à ce récit imaginé par le dessinateur Li Zhiwu et la cinéaste Men Xiaoyan. Les deux artistes chinois ont adapté en roman graphique le livre Qin Opera de l’écrivain Jia Pingwa. Dans sa version originale, la case unique mesure 72 m ! C’est pourquoi Laurent Mélikian et Frédéric Fourreau ont réduit la longueur pour la traduction française. Imaginez le poids et les difficultés de fabrication s’il avait fallu plier une feuille de 72 m !

Belles aquarelles pour drame amoureux

Pour bien comprendre le phénomène (en France, il est méconnu), l’opéra Qin est originaire de la province du Shaanxi en Chine. Joué en plein air dans les villes et campagnes, il est multi-séculaire. D’ailleurs, la venue de la troupe est souvent associé à des moments importants de la vie des habitants (mariage, funérailles…). La pièce de théâtre est chantée en dialecte local par des comédiens dont les visages sont maquillés de manière vive. Les femmes arborent souvent du rose sur les joues. Rose que l’on retrouve sur la couverture de Qin Opéra.

A la manière des premiers récits dessinés (Tintin, Bécassine, Dans l’infini et autres histoires…), le texte et les dialogues de l’histoire se situent sous la case unique. Quant aux traductions, elles sont inscrites au-dessus.

Li Zhiwu, le dessinateur autodidacte, a aussi voulu rendre hommage aux histoires peintes sur des rouleaux longs (chang juan) ou « rouleau horizontal en Chine », apparus à l’époque médiévale dans le pays. Ses aquarelles sont prodigieuses et hypnotiques. Son noir profond accentue l’atmosphère parfois pesante du récit.

Qin Opéra est donc une très jolie chronique sociale d’un pays entre archaïsme rural en pleine mutation et volonté d’imposer la doctrine communiste. Un album où l’amour se heurte aux jeux de pouvoir.

Article posté le jeudi 06 janvier 2022 par Damien Canteau

Qin Opéra de Li Zhiwu et Men Xiaoyan, d’après le roman de Jia Pingwa (Patayo)
  • Qin Opéra
  • Scénariste : Men Xiaoyan, d’après le roman de Jia Pingwa
  • Dessinateur : Li Zhiwu
  • Traductrice : Marie Laureillard
  • Editeurs : Patayo
  • Prix : 35 €
  • Parution : 12 novembre 2021
  • ISBN : 9782491277451

Résumé de l’éditeur : Issu d’une oeuvre graphique et littéraire, imaginée et réalisée durant quatre années par Li Zihwu et Men Xiaoyan, ce long travail de création n’a encore jamais été publié dans le monde. Ce récit illustré sur un rouleau de 72 mètres est présenté dans un livre d’une seule image. Un leporello de plus de 20 mètres de long. Au cours des années 90, rien ne va plus au village de Quingfenjie. Depuis l’arrivée de la route nationale, le progrès avance, anciens et modernes s’affrontent. Sous fonds de lutte d’influences et de coups fourrés, la bataille s’installe au sein même de la famille Xia entre valeurs paysannes, biens communs et développement économique. A travers la fascination pour Bia Xue, chanteuse d’opéra de Qin, Yinsheng, le narrateur nous relate cette chronique inspirée d’un roman de Jia Pingwa. Une histoire universelle aux accents d’opéra rural chinois.

À propos de l'auteur de cet article

Damien Canteau

Damien Canteau est passionné par la bande dessinée depuis une vingtaine d’années. Après avoir organisé des festivals, fondé des fanzines, écrit de nombreux articles, il est toujours à la recherche de petites merveilles qu’il prend plaisir à vous faire découvrir. Il est aussi membre de l'ACBD (Association des Critiques et journalistes de Bande Dessinée). Il est le rédacteur en chef du site Comixtrip.

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