Res Publica

Res Publica présente le bilan en dessin du quinquennat d’Emmanuel Macron, entre néolibéralisme, Gilets jaunes, Covid-19 et dérives policières. Un bilan-pamphlet proposé par David Chauvel et Malo Kerfriden.

Res Publica ou le Bilan dévastateur d’Emmanuel Macron

Les hommes politiques sont toujours extrêmement frileux à établir le bilan de leurs mandats. Peur de dire au monde qu’ils n’ont rien fait ? Peur de ne pas être réélus ? Peur de découvrir des choses peu reluisantes ? Peur, peur, peur…

Pourtant, il est toujours nécessaire pour eux de poser leurs valises et de regarder dans le rétroviseur. Pour le territoire dans lequel ils ont été élus ou pour les administrés. C’est un devoir !

David Chauvel et Malo Kerfriden s’attaquent à celui le plus haut placé dans notre république, celui qui dirige notre pays : Emmanuel Macron. (Mal ?) élu en 2017, il était temps, juste avant la nouvelle campagne de la présidentielle de faire ce bilan. Et le moins que l’on puisse dire, c’est que l’auteur de La route de Tibilissi et celui de L’abolition n’y vont pas de main morte. Ils fustigent tout sur leur passage. Et c’est très instructif.

Néolibéralisme assumé ?

Emmanuel Macron ne vient pas de nulle part, il ne s’est pas « fait tout seul ». Avant d’être ministre de l’économie du gouvernement de Manuel Valls sous la présidence de François Hollande, il avait écumé les ministères, introduit par Jacques Attali, son mentor.

Bien avant, il avait suivi le cursus hyper conventionnel en politique de l’Institut d’études de Paris (Sciences Po) et de l’ENA. C’est dans les travées de ces deux établissements qu’il se forge des idéaux politiques penchant vers le néolibéralisme. S’il se dit « de gauche », finalement, il ne l’a jamais été. Tout son parcours démontrera cette ligne philosophique pour l’économie de marché dérégulée.

Pourtant, ces thèses ne sont pas nouvelles. Lui s’inscrit dans une lignée d’hommes politiques proches de cette doxa. Comme l’ont montré Benoît Collombat et Damien Cuvillier dans leur magistral album Le choix du chômage, cette vision s’infiltre dans la politique depuis Georges Pompidou dans les années 1970. Macron est donc un des « bébés » du libéralisme, dont il aimerait les figures de Ronald Reagan, pire, de Margaret Thatcher.

Le terrain était déjà préparé

Alors David Chauvel creuse et cherche dans le passé d’Emmanuel Macron pour comprendre vraiment qui il est. Plus jeune président de la Ve république, il prend tout le monde de vitesse à la fin de l’année 2016 en créant son parti En Marche. Il fallait déjà y voir un côté mégalo lorsqu’on utilise ses initiales (EM) pour dénommer son parti. François Hollande écarté par lui-même – il ne se représente pas – une campagne éclair, une qualification au deuxième tour avec « seulement » 18,19% des suffrages exprimés (soit 8 656 000 voix) et un « front républicain » face à Marine Le Pen et voici le premier mandat dans la poche.

Le terrain avait été préparé par le quinquennat Hollande avec des lois économiques promulguées commençant le long travail de sape, sous la coupe du futur premier personnage de l’État. Le programme du Conseil national de la résistance s’amenuise pour le plus grand bonheur des grands groupes.

Cinq ans pour rien ?

Res Publica, c’est cinq années résumées en 320 pages. Mais là où une attaque en règle dogmatique n’aurait eu aucun intérêt, David Chauvel s’est documenté, comme le prouve les cinq pages de la bibliographie adossé à la fin de l’album. Tout est sourcé et c’est cela qui renforce le propos du récit.

Pour ne pas faire passer Res Publica pour une simple biographie du président de la République, il donne la parole à tout le monde : sociologues, hommes et femmes politiques, journalistes, éditorialistes mais également des anonymes chez les Gilets jaunes. On regrettera ainsi que l’on passe rapidement sur les dérives d’extrême-droite de certains des Gilets jaunes ou la vignette présentant une image de Boulevard Voltaire. Ce ne sont que des bémols dans ce travail impressionnant et très juste de ce quinquennat pour rien. Tout a explosé : les lois sur le travail, l’abandon de l’ISF, la flat tax, le rôle du parlement amoindri, la casse des services publics (SNCF, école, EDF, hôpitaux, Française des jeux…) et les violences policières.

Violences policières, vous avez dit : « violences policières » ?

Après les premières manifestations de soignants, pour la sauvegarde des services publics ou des Gilets jaunes, Christophe Castaner, alors ministre de l’intérieur, est exfiltré pour devenir président du groupe La république en marche de l’Assemblée nationale.

Il est alors remplacé par Gérald Darmanin, transfuge du ministère des Comptes publics et de la droite en 2019.  Dans sa besogne, il est épaulé par Didier Lallement, préfet de police de Paris. Tout part de travers. Le maintient de l’ordre dérive lentement comme l’avait expliqué Remeduim dans Cas de force majeure. Les manifestations se durcissent des deux côtés, les violences policières aussi mais les fautifs sont souvent blanchis par l’IGPN, la police des polices. On ajoute à cela, Benalla, les morts de Zineb Redouane, Cédric Chouviat ou encore Steve Caniçao et la répression sur les migrants et l’on obtient de vives tensions.

Pour ne rien arranger, une épidémie mondiale pointe son nez et dévaste tout sur son passage. Les premiers pas du gouvernement n’inspirent pas confiance (masques, tests, vaccins) et une communication désastreuse ne rassure personne. Si la situation aujourd’hui est meilleure grâce à une politique de vaccination, on n’oublie pas les débuts catastrophiques.

En jaune et noir

Pour la partie graphique, Malo Kerfriden fait vraiment un très bon travail. Comme pour son précédent ouvrage sur Robert Badinter, il croque avec justesse les personnalités. Il s’avère être un excellent portraitiste et caricaturiste. Ce qui n’est jamais simple.

Le dessinateur des séries Quaterback, La rage et La banque propose de très beaux aplats de noir et de jaune. Cette couleur notamment pour faire ressortir des éléments forts des planches comme les gilets des manifestants.

Penchez-vous sur le fronton dessiné sur la couverture pour vous rendre compte de l’intelligence de ce dessinateur.

Res Publica : un album essentiel à lire avant de se présenter dans l’isoloir le 10 avril prochain !

Article posté le samedi 26 février 2022 par Damien Canteau

Res Publica, 5 ans de résistance de David Chauvel et Malo Kerfriden (Delcourt)
  • Res Publica, 5 ans de résistance 2017-2020
  • Scénariste : David Chauvel
  • Dessinateur : Malo Kerfriden
  • Editeur : Delcourt, Hors collection
  • Prix : 19 €
  • Parution : 09 février 2022
  • ISBN : 9782413027447

Résumé de l’éditeur : « Qui a du fer a du pain. » écrivait Blanqui en 1851. Presque deux siècles plus tard, les Français ont dû avoir recours à l’un pour conserver l’autre. Dernier pays occidental à ne pas avoir plié sous le joug néolibéral, la France a dû livrer une bataille parfois sanglante pour ne pas se laisser laminer par le fameux projet d’Emmanuel Macron. Ce livre raconte ces cinq années de résistance.

À propos de l'auteur de cet article

Damien Canteau

Damien Canteau est passionné par la bande dessinée depuis une trentaine d’années. Après avoir organisé des festivals, fondé des fanzines, écrit de nombreux articles, il est toujours à la recherche de petites merveilles qu’il prend plaisir à vous faire découvrir. Il est aussi membre de l'ACBD (Association des Critiques et journalistes de Bande Dessinée) et co-responsable du prix Jeunesse de cette structure. Il est le rédacteur en chef du site Comixtrip. Damien modère des rencontres avec des autrices et auteurs BD et donne des cours dans le Master BD et participe au projet Prism-BD.

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