Angoulême : les éditeurs menacent de boycotter le festival

C’était prévisible. Moins d’un mois après un festival d’Angoulême, relativement réussi du côté des expositions et des événements (avec un Otomo génial), pas génial au niveau fréquentation, mais calamiteux dans sa communication et les multiples polémiques qu’elle a provoquée, les éditeurs ont sonné la révolte. 

De manière « radicale » puisque c’est le terme qu’ils emploient dans un communiqué collectif qui a fait, dans le petit monde pas vraiment feutré du 9e art, l’effet d’une bombe. Seize majors appartenant au Syndicat national de l’édition, le SNE, (dont Casterman, Delcourt, Dargaud, Denoël, Fluide Glacial, Glénat, Gallimard, Vents d’Ouest, etc) et vingt-cinq membres du syndicat des éditeurs alternatifs, le SEA, (dont l’ Association, Cornélius, Frémok, Le Lézard Noir, Les Requins Marteaux, etc) viennent de sortir l’artillerie lourde sous la forme d’une terrible menace : le boycott pur et dur de l’édition 2017 du festival international d’Angoulême, si la plus importante manifestation consacrée à la BD en Europe, n’est pas – disent-ils – « repensé en profondeur dans les meilleurs délais ». 

« Il  est impossible de laisser le festival se dégrader et entacher ainsi l’image du 9e art tant en France qu’à l’étranger »

Leur texte, intitulé significativement « Sauvons le festival d’Angoulême » stigmatise « les errements » de l’édition de janvier dernier, imputés selon eux, à la fois à « l’absence d’une vision partagée et d’une gouvernance efficace ». Pire, affirment-ils, « le festival est parvenu à décrédibiliser notre profession aux yeux du monde entier » et ils poursuivent en affirmant « qu’il  est impossible de le laisser se dégrader et entacher ainsi l’image du 9e art tant en France qu’à l’étranger ».

Du coup, ils en appellent à la toute nouvelle ministre de la Culture, Audrey Azoulay (dont on sait l’attachement au 7e art mais au 9e???) en lui demandant de nommer un médiateur pour lancer la « refondation » du FIBD. Pour en finir avec ce que le président du SNE, Guy Delcourt, dans un entretien dans Le Monde appelle « un sentiment de ras-le-bol » et un « best-of de tout ce qui n’allait pas ! ».

Comment va réagir la direction du festival, Franck Bondoux, le patron de 9e art+, en premier, qui avait déjà été contraint de monter en première ligne, il y a un mois,  pour tenter (maladroitement) de sauver les meubles ? Et la mairie, qui avait finalement mis de l’eau dans son vin malgré des relations compliquées avec le festival au moment où les collectivités territoriales envisagent la création d’un parc d’attraction consacré à la BD après l’échec de la fusée Tintin ? Et l’association qui regroupe les grands anciens (fondateurs et bénévoles) et qui a toujours son mot à dire dans ce qu’elle considère peu ou prou comme SON festival ?

Succession de plantages

Pas simple, tout çà. Mais c’est vrai que l’édition 2016 a été une succession de plantages. Avec les 41 signataires du communiqué, force est de se souvenir, par exemple, du pataquès autour de la sélection du Grand prix ! Aucun nom de femmes parmi les trente proposés au vote de la profession. Puis devant la bronca lancée par Riad Sattouf et relayée par les organisations féministes comme le collectif des créatrices de bande dessinée contre le sexisme ou des auteures comme Florence Cestac (seul Grand prix non mâle en 43 ans ! Avec Claire Brétecher, rattrapée par un Grand prix spécial pour les 10 ans d’Angoulême), six noms féminins sont rajoutés en catastrophe par le trio de programmateurs (dont une femme!).

Trop tard. Le mal (mâle!) est fait et le passage en forme de mea culpa de Franck Bondoux sur Canal+ n’arrange rien… au contraire. Voilà l’étiquette « festival machiste » accolée à Angoulême même si, comme par hasard, parmi les trois derniers nominés, se trouve la Charentaise Claire Wendling, qui objectivement n’avait aucune chance face à Hermann.

Mécontentement des auteurs

Et puis si dans leur communiqué, les éditeurs contestataires ajoutent « le mécontentement des auteurs souvent mal traités par l’organisation », le spectacle dérisoire de la remise des prix devait être la cerise sur un gâteau au goût amer. Le présentateur, Richard Gaitet, avait trouvé « humoristique » d’annoncer de vrais-faux prix à de véritables auteurs (l’un, prévenu par twitter, qui avait ouvert le champagne auquel cinq minutes après, on dit « oups, c’était un gag!) ou à de véritables maisons d’édition, suscitant un énorme malaise.

Le communiqué de repentir et d’excuses (sincères) du Monsieur Loyal d’un soir n’avait pas effacé cet immense couac ! La coupe était vraiment pleine. Et les réseaux sociaux s’en étaient donné à cœur joie demandant pour la plupart, la tête de la direction du festival.

Et puis, une fois les « bulles » démontées, la tension paraissait être retombée même si déjà, la grogne des grandes maisons d’édition était sensible.

Pas la première fois qu’Angoulême tremble sur ses bases

Historiquement, on se souvient que ce n’est certes pas la première fois qu’Angoulême tremble sur ses bases. Après l’ère Boucheron (le maire PS qui avait endetté la ville d’une manière folle), notamment, la nouvelle municipalité (Georges Chavanes) avait envisagé sérieusement un festival sous forme de biennale entre villes « de droite » : une année en Charente, une année à Grenoble dirigé alors par Alain Carignon.

A Grenoble, en 1989, où un Festival européen de la bande dessinée, appuyé par Greg d’une part (qui venait de reprendre les droits de l’Alfred de Saint-Ogan, jusqu’alors symbole des prix d’Angoulême) et par les éditions Glénat (c’est son fief historique) et Dupuis – déjà mécontents de l’organisation charentaise – va faire une tentative de deux ou trois ans… sans suite.

Les coups de colère des éditeurs contre Angoulême ne sont pas rares (le départ de Dupuis après l’oubli de l’annonce du prix Jeunesse à De Gieter en 1986 par exemple) mais celui-ci regroupe à la fois les « gros » et les « petits », d’une part et d’autre part arrive alors que l’opinion publique s’est bien rendue compte que quelque chose ne tournait pas rond au royaume des petits miquets. Mais qu’en diront les auteurs, dessinateurs, scénaristes, coloristes, graphistes ? Après tout, ils sont tout aussi en première ligne ! Affaire à suivre.

Article posté le mardi 23 février 2016 par Erwann Tancé

À propos de l'auteur de cet article

Erwann Tancé

C’est à Angoulême qu’Erwann Tancé a bu un peu trop de potion magique. Co-créateur de l’Association des critiques de Bandes dessinées (ACBD), il a écrit notamment Le Grand Vingtième (avec Gilles Ratier et Christian Tua, édité par la Charente Libre) et Toonder, l’enchanteur au quotidien (avec Alain Beyrand, éditions La Nouvelle République – épuisé). Il raconte sur Case Départ l'histoire de la bande dessinée dans les pages du quotidien régional La Nouvelle République du Centre-Ouest: http://www.nrblog.fr/casedepart/category/les-belles-histoires-donc-erwann/

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