L’espace Franquin accueille une très belle rétrospective de l’oeuvre d’Hugo Pratt, le talentueux auteur italien. Dans cette belle exposition, les organisateurs ont mis en lumière les liens entre le créateur de Corto Maltese et la littérature.
PRATT : LE MYSTIQUE, LE SUBLIME ET LES ECRIVAINS POPULAIRES AU COEUR DE SON OEUVRE
Hugo Pratt aimait les écrivains populaires comme Jack London ou RL Stevenson, il adorait leurs récits d’aventures grand public qui faisaient voyager. Il a d’ailleurs souvent fait dans ses œuvres des emprunts plus ou moi explicites à ces grands romanciers.
Les trois autres grandes axes de cette exposition sont les spécificités trouvés dans toutes les bandes dessinées de Pratt : le mystique, le sublime et le refus de la politisation de l’écriture. D’ailleurs Corto Maltese était prépublié dans le magazine Pif, d’obédience communiste et à volonté hyper-pédagogique, et c’était très important pour l’auteur italien, lui qui avait fui la dictature dans son pays natal.
Il faisait vivre à ses personnages des aventures peu communes où ils entraient en résistance contre le manichéisme et toutes les formes d’oppression.
LE NOIR ET BLANC SUBLIMÉ ET L’ABSTRACTION
Admirateur de Milton Caniff, il prenait autant de plaisir que son illustre aîné pour produire des planches en noir et blanc. Comme d’autres grands auteurs, Pratt se mit aussi à composer ses décors sous la forme d’abstraction, pas dans le sens abstrait, mais plutôt une évocation comme dans ses planches se déroulant dans la jungle.
L'exposition
Voici vingt ans que l’auteur qui aura, peut-être, le plus introduit la littérature dans une œuvre de bande dessinée nous a quittés. Cette influence adossée à un appétit de lecture et de livres pantagruélique (n’avait-il pas chez lui 30 000 bouquins de toute nature ?) était bien souvent perceptible dans sa création à travers l’identité de ses personnages et, parfois même, par des références très directes: combien de fois Corto n’a-t-il pas un livre entre les mains ou ne rapporte-t-il pas une citation littéraire qui éclaire ses choix de vie ? À l’heure où le marin maltais ressuscite pour connaître de nouvelles aventures, il apparaît plus que jamais intéressant de revenir aux sources de son inoubliable créateur qui s’exprimait, on ne peut plus clairement, sur certaines de ses influences : « Dans la littérature (…), ce qui me touche le plus, c’est la poésie, parce qu’elle est synthétique et qu’elle procède par images. Et comme la poésie, la bande dessinée est un monde d’images. Vous êtes obligé en permanence de conjuguer deux codes et par conséquent deux mondes. Un univers immédiat par l’image et un monde transmis par la parole.»
L’exposition présentée par le 43e Festival international de la bande dessinée et créée par le Musée Hergé (dans lequel elle est visible en ce moment même à Louvain-la-Neuve), en synergie avec Patrizia Zanotti, met précisément en avant cette thématique majeure de l’œuvre du Vénitien de génie. Les visiteurs du Festival sont invités à un tour d’horizon de l’univers d’Hugo Pratt et à découvrir comment l’auteur italien a façonné son œuvre par un contact de tous les instants avec de nombreuses formes de littérature. Les influences de Pratt, ses préoccupations esthétiques, mais aussi les rencontres déterminantes qu’il fit au cours d’une carrière longue de près de 50 ans, sont présentées en lien avec ses originaux: dessins de recherche, planches en noir et blanc et en couleur, aquarelles, couvertures de revues… Des créations exceptionnelles, parmi lesquelles se retrouvent des planches et des dessins qui comptent parmi les plus célèbres d’Hugo Pratt. Cette approche littéraire inédite permet aussi de mettre en avant le fait que la vie et le travail de Pratt sont intimement liés, se répondant sans cesse pour produire son chef d’œuvre ultime, Corto Maltese. Un personnage à la fois solitaire et connecté au monde, notamment par l’intérêt qu’il porte à des lectures universelles qui reflètent à merveille le caractère cosmopolite et la curiosité de son créateur, ainsi que la tentation permanente du voyage qui l’animait. Comme Corto, Pratt ignorait les frontières et les obscurantismes. Il se passionnait pour les cultures du monde sans souci de distinction ni de hiérarchie, mêlant dans son imaginaire de l’écrit et du dessin les aventures terrestres à des rêveries échappant à toute topographie, à toute logique cartésienne pour devenir… des fables.
Les propos de Pratt qui composent les textes de l’exposition, issus de livres et entretiens publiés à différentes époques, attestent de tout cela. Lorsque l’auteur convoque pêle-mêle les influences de Kipling, Stevenson, Yeats, London, Rimbaud, Borges ou même Shakespeare, ce sont autant de références qui se retrouvent dans cette œuvre irriguée de cultures et de lumière.
Renseignements pratiques
- Espace Franquin, salle Iribe
- Production : Musée Hergé / 9eArt+
- Commissariat : Patrizia Zanotti et Sophie Tchang
- Coordination : Maria-Grazia Lacidogna
À propos de l'auteur de cet article
Damien Canteau
Damien Canteau est passionné par la bande dessinée depuis une vingtaine d’années. Après avoir organisé des festivals, fondé des fanzines, écrit de nombreux articles, il est toujours à la recherche de petites merveilles qu’il prend plaisir à vous faire découvrir. Il est aussi membre de l'ACBD (Association des Critiques et journalistes de Bande Dessinée). Il est le rédacteur en chef du site Comixtrip.
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