Après le merveilleux Lucien, Guillaume Carayol et Stéphane Sénégas imaginent Le chemin vers Pépé. Nous avons rencontré le duo d’auteurs aux Rendez-vous BD d’Amiens pour parler de ce très bel album jeunesse. La mort, le deuil et leur travail en commun au menu de cette sympathique interview.
Nous connaissons votre duo pour l’album Lucien, pourquoi avoir voulu travailler de nouveau ensemble ? Qui est à l’origine du Chemin vers pépé ?
Stéphane : Parce que nous nous sommes régalés sur Lucien. C’était vraiment une belle aventure artistique et humaine. Une vraie découverte dans tous les sens. Une envie de relancer notre aventure.
Marie, éditrice à La Gouttière, m’a proposé de rentrer dans la collection Do Ré Mi Chat. En ajoutant que je pouvais proposer à Guillaume de m’accompagner.
Nous avions déjà d’autres projets en cours ensemble mais celui-ci arrivait tout juste après la fin de Lucien. C’était aussi une bulle d’air après une pagination importante, dans un univers assez lourd. Nous plonger dans un album sans texte pour enfant, c’était agréable à première vue. Sauf que Guillaume a décidé de créer une histoire sur la mort.
Guillaume : C’était une opportunité. Cela nous permettait de ne pas avoir à construire un dossier pour convaincre. C’était une vraie marque de confiance de la part de La Gouttière. Ils m’ont juste dit d’écouter les symphonies et de me lancer.
Dans un premier temps, je n’avais pas cette idée de thématique de la mort. J’ai écouté les morceaux. Il y avait du Beethoven, du Mozart, du Schubert et du Bach. Schubert a tout de suite attiré mon attention et ma curiosité. J’ai alors cherché une histoire en essayant d’intégrer le plus possible la musique à l’intérieur de mon récit. Mais je n’étais pas vraiment convaincu.
J’ai de nouveau écouté l’ensemble des symphonies et celle de Mozart m’a enchanté. Dans sa construction, il y avait plein de possibilités d’avoir à la fois quelque chose de très léger – style sérénade – et des pics et des ruptures. C’était un sacré atout pour pouvoir proposer des choses et imaginer une aventure tonique. Mon histoire a été pensée comme si les enfants lecteurs montaient dans un manège de montagnes russes. Les émotions étaient très marquées avec des hauts et des bas.
À la fin du premier mouvement, je voyais l’histoire comme si Mozart me la dictait. Je voyais les images : les chutes et le suspens.
J’ai une façon de procéder assez singulière. Je fais des siestes pour trouver des idées. Plutôt dans le début d’un cycle de sommeil, le moment de semi-inconscience.
Pourquoi avoir choisi que l’album soit muet ?
S : Ce n’est pas notre choix. C’est une des exigences de la collection Do Ré Mi Chat.
G : La contrainte, c’est de ne pas avoir de dialogues.
S : Une symphonie muette pour les enfants et jouée en live par l’Orchestre de Picardie.
G : J’ai un peu contourné cette exigence en créant cette relation épistolaire. Il fallait qu’à un moment, je puisse écrire :
“Il y aura toujours un chemin vers Pépé.”
Il fallait vraiment marquer cette relation entre le petit garçon et son grand-père.
C’était aussi un subterfuge pour faire venir les parents dans cette histoire. Les primo ou non-lecteurs peuvent ainsi demander de l’aide à des adultes pour lire. Il peut y avoir ainsi cette relation grâce à l’album.
Cette lettre mettait en lumière le fait que le petit garçon n’avait pas accès à son grand-père, que ses parents l’empêchaient de le voir.
Ces deux lettres sont plus vraies que nature avec cette écriture très enfantine pour la première et adulte pour la seconde. Était-ce voulu ?
G : C’est mon fils qui a écrit la première lettre et ma fille a ajouté les petits cœurs autour du mot Pépé. Et la seconde, c’est mon père qui l’a écrite.
S : Dans Lucien, c’est mon fils Hugo qui écrit la lettre de Paul. Guillaume voulait que je lui demande à nouveau mais je lui ai dit que ce serait mieux si c’était son fils Théophane qui le faisait.
Comment réagissent vos enfants lorsque vous leur demandez d’écrire ? Est-ce qu’ils ont déjà vu l’album terminé ?
S : Ils ont vu la version non corrigée. Ils s’en foutent en fait. Si tu mets un album d’un ami ou un copain dans la maison, ils vont aller le regarder alors que pour les miens, il y a moins d’attraits.
G : C’est pour ça qu’on continue, pour essayer de les épater.
S : Hugo, le petit, il dessine énormément. Il me voit aussi travailler tous les jours. Les projets, il les connaît. Même Lucien qui n’était pas pour lui, il gravitait autour et avait envie de savoir.
Ils n’ont pas envie de l’apporter à l’école ?
G : C’est pire que ça, ils n’ont pas envie ! En plus, moi, je suis pluridisciplinaire. J’ai été joueur de football, je chante et je réalise des vidéos. Ils pensent que tous les parents font plein de choses. Ils ne voient pas le côté exceptionnel d’un livre.
« Lorsque l’on se voit en visio, Guillaume me mime les scènes. »
Avez-vous travaillé de la même manière sur Lucien et Le chemin vers Pépé ?
S : Ce qui est différent, c’est qu’il n’y a pas de coécriture. Le chemin vers Pépé, le scénario n’est que de Guillaume. Je ne lui avais seulement donné que le personnage et le fantôme en dessin comme point de départ. Tandis que pour Lucien, j’avais déjà écrit une grosse partie de l’histoire. Même si après, on l’a retravaillée ensemble.
Évidemment, la mise en scène, on l’a faite à deux. Comme Guillaume réalise des clips et des documentaires, il apporte aussi quelque chose de nouveau.
G : Sur Lucien, c’était un projet au long cours. On essayait de varier dans la manière de travailler. Parfois, je donnais beaucoup d’indications, dans d’autres quasiment rien. On veut aussi s’étonner entre nous. On discute beaucoup par visio.
S : Lorsque l’on se voit en visio, Guillaume me mime les scènes.
G : J’ai besoin de dire les dialogues à voix haute, de les entendre. Il faut qu’il y ait de la musicalité dans les dialogues. Pour Lucien, à l’éditrice, je lui faisais aussi les voix.
S : Pour Le chemin vers Pépé, Guillaume a entièrement géré le scénario et moi, le dessin. J’ai laissé Guillaume rythmer la bande dessinée en fonction de la musique.
Pourquoi est-ce que vous n’avez pas donné de prénom à cet enfant ?
S : À part sur la lettre, je ne sais pas où on aurait pu le mettre.
Est-ce pour que tous les enfants puissent s’approprier l’album ?
G : Marie, l’éditrice, parlait en cela de l’universalité si on ne donnait pas son prénom.
On ne dit plus trop Pépé de nos jours, pourquoi avoir voulu garder ce terme ?
S : Pour mon grand-père, je disais cela. Ça a un côté tendre et affectif.
« Guillaume a quand même envoyé le premier texte à La Gouttière. Et ce fut unanime tout de suite. »
C’est un album sur le deuil mais vous avez réussi à en faire un album malgré tout très positif notamment avec ses confettis de couleurs. Pourquoi toutes ces couleurs ?
S : C’était mon vrai challenge. L’histoire de ce bouquin n’a pas été linéaire. Lorsque Guillaume m’envoie le texte, tout de suite, je le trouve beau, profond, mais je me suis dit que je ne pouvais pas le faire. J’avais déjà parlé du deuil dans d’autres albums. En plus, je voyais les scènes à l’hôpital, les moniteurs, je me disais que c’était trop frontal. Et je me suis dit que la maison d’édition ne voudrait pas la publier telle quelle. Éditorialement, ça ne pouvait pas passer.
Guillaume a dû encaisser, non pas ce refus, mais cette réticence, cette mise en garde. Et il est parti sur une autre histoire tellement mes interrogations étaient fortes. Mais, comme il est têtu, il a quand même envoyé le premier texte à La Gouttière. Et ce fut unanime tout de suite.
Et je me suis alors dit que ce serait un très gros challenge. L’intrigue parlait donc d’un garçon qui perd son grand-père, c’est très frontal. Il voit mourir son pépé. Par le dessin, la mise en scène et surtout par la couleur – d’habitude mes couleurs sont assez éteintes – assez flashy et pop pour amener le lecteur vers le côté positif. C’est un bouquin sur un équilibre très ténu, sur un fil. On peut facilement tomber du côté très lourd et avec trop de pathos. Je pensais que c’était un bouquin très dangereux dans cet équilibre.
Et Guillaume, tout le temps, me répétait que c’était un album positif, un hymne à la vie. Les paillettes, les couleurs vives devaient donc atténuer la noirceur.
Guillaume ajoutait que le grand-père, lorsqu’il était mort, disait aussi à son petit-fils que là où il était, il était bien.
G : Le garçon, il est déterminé à rendre visite à son pépé, peut-être même pour la dernière fois. Alors que les parents sont en protection.
S : La case la plus forte pour moi, c’est celle où le petit garçon est assis dans la voiture, son père encore dehors. Il fonce pour s’y glisser alors que ses parents ne veulent pas. Il impose son choix à son père. Il veut y aller. Ce moment, pour moi, il est hyper émouvant.
G : Dans cette scène, le père se rend compte que son fils grandit. Il a cette volonté. Peut-être qu’un ou deux ans plus tôt, il ne l’aurait pas fait. Au fil de ton existence, tu grandis par des événements.
Était-ce un vrai choix que d’être réaliste dans les planches se déroulant à l’hôpital ?
S : J’ai voulu le contraster de deux manières : par la couleur froide et monochrome et par ce côté réaliste. On n’est plus dans le rêve et les paillettes. Il fallait que dans cette double-page, le lecteur ne soit pas bien. Il fallait descendre très bas dans le dessin pour ensuite faire éclater les couleurs dans les pages suivantes.
Entretien réalisé par Damien Canteau et Claire Karius le samedi 2 juin à Amiens.
Retranscription faite par Damien Canteau.

- Le chemin vers Pépé
- Scénariste : Guillaume Carayol
- Dessinateur :
- Editeur : La Gouttière, collection Do Ré Mi Chat
- Prix : 12,70 €
- Parution : 02 juin 2023
- ISBN : 9782357960848
Résumé de l’éditeur : Tout comme la 35e Symphonie de Mozart, dont elle s’inspire, cette bande dessinée légère et gaie, est empreinte d’une discrète mélancolie. Entre peur et soulagement, le jeune héros est entrainé dans un rêve intense, qui prendra tout son sens à son réveil. Dans la tristesse, l’émerveillement surgit. La nuit éclaire le jour qui suit.