Les frontières du Douanier Rousseau

Du Douanier Rousseau nous connaissons ces magnifiques tableaux naïfs et colorés et la chanson de la Compagnie Créole mais sa vie beaucoup moins ainsi que de son procès pour escroquerie. Mathieu Siam et Thibaut Lambert nous font découvrir la vie romanesque de ce peintre et commis à l’Octroi de Paris. Une belle surprise !

Qu’est-ce que c’est que cette escroquerie ?

Paris, 1909. C’est dans le palais de justice de la capitale que s’ouvre un étrange procès : celui d’Henri Rousseau, le célèbre peintre connu sous le nom de Douanier Rousseau. Il a trempé dans une sale affaire d’escroquerie mise en place par son ami Louis Sauvaget (faux et usage de faux). Incarcéré préventivement un mois dans un premier temps en 1907, il est jugé coupable ce jour-là. Il est alors condamné à deux ans de prison avec sursis et 100 francs d’amende.

Comment un homme si gentil, dans sa bulle, dans son monde a-t-il pu se retrouver dans le box des accusés ? Comment le peintre célébré par Alfred Jarry et Guillaume Apollinaire a-t-il pu être si naïf envers son ami ?

Ce procès permet à l’assistance de comprendre comment un commis de l’Octroi de Paris est devenu l’un des artistes les plus appréciés de la fin du XIXe et du début du XXe siècles.

Le douanier Rousseau, un homme passionné de dessin

Henri Rousseau est né le 21 mai 1844. Après son mariage avec Clémence, avec laquelle il aura huit enfants, il devient clerc pour un huissier. Après la Guerre de 1870 contre la Prusse, il est embauché comme commis à l’Octroi de Paris. Cet organisme perçoit les taxes sur les marchandises entrant dans la capitale.

Il est consciencieux et travaille jour et nuit avec ses deux autres camarades. Mais ce qui le fait chavirer, c’est de dessiner et de peindre. Cette activité, pour le moment en amateur, lui permet de s’échapper et de rêver.

Grâce au peintre Jean-Léon Gérôme, il obtient une carte de copiste au musée du Louvre. Il est pris dans un tourbillon en observant tous les tableaux accrochés aux murs. Il peut les décortiquer et les copier.

Banana Harvest - Henri Rousseau (Yale University Art Gallery)

Banana Harvest – Henri Rousseau (Yale University Art Gallery)

Dans les tableaux du Douanier Rousseau

Si ses premières toiles sont refusées pour être exposées dans le Salon officiel en 1885, il ne s’en fait pas vraiment car elles sont suspendues aux cimaises du Salon des refusés l’année suivante.

Henri aime aussi flâner dans les allées du Jardin des plantes ou du Jardin d’acclimatation. Il apprécie la flore abondante des lieux. C’est ce qui l’inspire et lui permet de créer des tableaux. S’il n’a jamais quitté la France, il peint des jungles luxuriantes dans un style naïf à partir de revues qu’il compulse. Souvent rejetées, ses toiles vont ouvrir le chemin aux autres peintres naïfs et inspirer les futurs Surréalistes…

Des tableaux déstabilisant avec de la Faune, de la flore et des animaux exotiques

Ce peintre complétement autodidacte eut une vie passionnante. C’est ce que l’on ressent tout de suite lorsque l’on lit Les frontières du Douanier Rousseau. Des frontières comme le veut son métier de douanier mais aussi les frontières qu’il va dépasser par son œuvre, des frontières dans des pays lointains dans lesquels il ne mettra jamais les pieds. Et en cela, les toiles de ce charmant homme nous enchantent.

Comme Mathieu Siam (Arc-en-ciel, Empreintes) le rappelle : le travail d’Henri Rousseau est déstabilisant et peut parfois susciter « l’hilarité ». Tout simplement car ses jungles sont idylliques et hyper fantasmées. Souvent les enfants les apprécient par son bestiaire assez proche de la réalité et ses couleurs. Le fourmillement des plantes ajoutent un effet de bien-être également.

Mais le scénariste est aussi allé au-delà des peintures, il a fouillé dans sa vie, une vie quasi romanesque.

Entre attirance et répulsion

Beaucoup de ses contemporains rejettent dans un premier temps ses tableaux mais le Douanier Rousseau les attire par cette naïveté face au monde. Un monde ayant connu il y a peu la guerre. Il fallait mettre de la couleur dans la vie des gens après des moments aussi sanglants.

Pourtant, Picasso – qui garda Portrait de femme dans son atelier jusqu’à sa mort – Matisse, Gauguin ou Marie Laurencin apprécient de plus en plus ses tableaux. Tableaux dont il ne reste actuellement que 150 sur les 250 peints par le Douanier Rousseau. Des tableaux visibles à Laval, au Centre Pompidou, à l’Orangerie, à Orsay mais également au MoMa de New York ou celui de Philadelphie. Au fil des ans, il passe de peintre incompris à génie de la peinture.

Vue du parc Montsouri d'Henri Rousseau (Fondation Barnes)

Vue du parc Montsouri d’Henri Rousseau (Fondation Barnes)

« Ce qu’il voyait n’était qu’amour et nous fera toujours des yeux émerveillés. » [Paul Eluard]

Dans Les frontières du Douanier Rousseau, l’homme est décrit comme simple, un peu à part, d’une profonde gentillesse et amoureux. Amoureux de son travail, de la nature et des femmes qui traversèrent sa vie : ses deux épouses Clémence et Joséphine, mais aussi Léonie et Yadurgha. Cette dernière est très présente dans l’album, comme un rêve inaccessible ou un fantôme qui hante la vie d’Henri.

Pour qu’une bande dessinée soit réussie, il faut aussi une partie graphique en parfaite symbiose avec le texte. C’est le cas de celle proposée par Thibaut Lambert. L’auteur de L’amour n’a pas d’âge, Au coin d’une ride et Si je reviens un jour nous charme par son trait anguleux mais surtout par ses superbes aquarelles. D’ailleurs les teintes sépia sont idéales pour les séquences dans le tribunal. Il y a de la vie et du mouvement dans ses planches ce qui apporte une belle lisibilité à l’album.

Plongez dans la vie surprenante du Douanier Rousseau grâce à ce très bel album signé Mathieu Siam et Thibaut Lambert.

Article posté le samedi 02 avril 2022 par Damien Canteau

Les frontières du Douanier Rousseau de Mathieu Siam et Thibaut Lambert (Michel Lafon)
  • Les frontières du Douanier Rousseau
  • Scénariste : Mathieu Siam
  • Dessinateur : Thibaut Lambert
  • Editeur : Michel Lafon
  • Prix : 23,95 €
  • Parution : 24 mars 2021
  • ISBN : 9782749947006

Résumé de l’éditeur : Le 8 janvier 1909 s’ouvre le deuxième jour du procès du peintre Henri Rousseau, dit « le Douanier Rousseau ». Vieil homme voûté par ses 64 ans, affaibli par quelques jours de détention, il a reconnu la veille les accusations de faux et usage de faux. Mais il ne comprend pas la gravité de son acte. Face à l’attitude candide du peintre et de ses propos décalés, la cour devra répondre à la question suivante : « Rousseau, êtes-vous un génie ou un benêt ? » À travers le récit de quatre témoins et les plaidoiries de deux avocats, l’album nous fait découvrir la véritable histoire du Douanier Rousseau, l’un des premiers avant-gardistes qui ouvrit des portes picturales à de grands noms tels que Picasso, Gauguin ou Pissarro et partagea sa poésie avec Alfred Jarry et Guillaume Apollinaire.

À propos de l'auteur de cet article

Damien Canteau

Damien Canteau est passionné par la bande dessinée depuis une vingtaine d’années. Après avoir organisé des festivals, fondé des fanzines, écrit de nombreux articles, il est toujours à la recherche de petites merveilles qu’il prend plaisir à vous faire découvrir. Il est aussi membre de l'ACBD (Association des Critiques et journalistes de Bande Dessinée). Il est le rédacteur en chef du site Comixtrip.

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