Il y a un an, la maison d’édition poitevine Le Lézard Noir entamait une mue. Un nouveau collaborateur chargé des événementiels arrivait et une nouvelle collection petit format voyait le jour. Un véritable défi pour la maison d’édition connue pour ses grands formats sans jaquette.  Après une première phase d’expérimentation, Le Lézard entame une seconde étape de sa mue : ajuster sa nouvelle peau. 

Une collection qui prend lentement

En février 2023, Lézard Noir publie le premier tome de sa première série petit format, Golden Gold. En juillet, sort le premier tome de sa deuxième série petit format, Le Roi des Limbes. « Des erreurs stratégiques« , regrette Stéphane Duval, fondateur de la maison d’édition spécialisée en manga et beaux livres. « Elles ont eu du mal à décoller, raison pour laquelle nous avons préféré publier les deux tomes du Vendeur du magasin de vélos en même temps. » Un pari réussit, car la troisième série format 13x18cm du Lézard Noir fait un très beau lancement, qui se poursuit lors de la sortie du troisième tome, le 3 janvier 2024.

Le vendeur du magasin de vélos T1 – Arare Matsumushi – Lézard Noir

Les événementiels changent de main

Après presque deux ans de collaboration avec le Lézard Noir, Renaud Maupin, autrefois responsable des ventes cinéma Paris-Périph pour Disney, choisit de retourner vers son sujet de prédilection : le grand écran. Celles et ceux ayant visité le Carré Manga du festival Quai des Bulles à Saint-Malo ont pu en effet constater que le visage derrière le stand Lézard Noir a changé. La maison d’édition poitevine s’associe à la Librairie Manga Kat Bordeaux, du réseau Krazy Kat de CanalBD.

Si l’éditeur laisse désormais des libraires, maîtres du conseil-client en matière de bonnes histoires – s’occuper de la vente de ses mangas lors d’événements, ce changement a aussi une autre conséquence. Les lecteurs croiseront moins de mangas vendu moitié prix sur les stands Lézard Noir. Geste commercial que la maison d’édition se permettait sur des titres abîmés suite à un retour de librairie.

Du retard dans les sorties

En 2023, plusieurs titres ont vu leur sortie retardée. Les deux tomes du Vendeur du magasin de vélos sont sorti avec deux mois de retard et Fashion initialement prévu pour la Fashion Week automnal de 2023, n’a finalement pas de date de sortie. Stéphane Duval projette la sortie de Fashion pour la Fashion Week de Mode Féminine Automne/Hiver 2024, c’est-à-dire fin février.

Pourquoi tant de retard ? Pour une question de moirage.

Le mystère du moirage

« Les tomes étaient prêt, mais lorsqu’ils sont arrivés, des aplats qui ne moiraient pas sur les fichiers originaux sont sorties complètement moirés de chez l’imprimeur », nous montre Stéphane Duval, un tome de Fashion ouvert entre les mains. Le moirage est le nom donné au maillage – parfois très large, parfois très fin – qui quadrille certains aplats, particulièrement visible sur les aplats de gris dans les mangas. Défaut comparable au « bruit » sur les vieux téléviseurs cathodiques, on peut notamment l’observer lorsqu’on prend en photo un écran d’ordinateur. Loin d’être une trame choisie par le dessinateur d’un manga, c’est en réalité un défaut indépendant de la volonté des auteurs.

« Impossible de savoir si un fichier qui ne moire pas à l’origine, va moirer à l’impression. » L’éditeur se lance donc dans une véritable quête de la formule magique anti-moirage. « Les imprimeurs du Vendeur du magasin de Vélos ont longtemps cherché une solution et ont finit par la trouver. On pensait qu’il n’y aurait plus de problème pour Fashion, mais ça n’a pas fonctionné, Explique Stéphane Duval. Je suis allé discuter avec des éditeurs et des imprimeurs japonais pour comprendre comment résoudre ce problème. » Verdict : « L’imprimeur qui détient le secret du zéro moirage ne veut pas le partager. » Le Lézard se tourne donc vers un nouvel imprimeur pour Fashion, dont le premier tome est désormais en préparation.

Panorama des sorties 2024

Les nouveautés

Le cri du Kujima d’Akira Konno rejoint le catalogue le 07 février en grand format. « C’est un ouvrage feel good, destiné aux lecteurs de Keigo Shinzo, Hoshi dans le jardin des filles et La boîte lumineuse« . En effet, on retrouve des accents de Tokyo Aliens Bros (Keigo Shinzo) dans ce récit d’une rencontre entre une créature étrange venue d’ailleurs et la découverte d’un Japon moderne, entre culture traditionnelle et contemporaine.

Deux one shot viennent enrichir le catalogue de l’éditeur : Mirage d’été de Kazu Yuzuki, un récit envoûtant entre canicule et moiteur tropical, qui saura enchanter les lecteurs de In Summer de Seong Ryul. Et La résidence où l’on meurt en silence de Nazuna Saito. Un récit mélancolique au style graphique atypique autour de la vieillesse.

Mirages d’été – Kazu Yuzuki – Lézard Noir

Côté petit format, le Lézard verse dans un nouveau genre : le manga de sport. Le dragon sous le croissant de lune (titre provisoire) de Kenichiro Nagao. « Un sorte de Karaté kid en 7 volumes » promet Stéphane Duval.

Le dragon sous le croissant de lune – Kenichiro Nagao

La collection poursuit avec une nouvelle romance adulte : Couteau et piment vert de Yuki Isoya. Un récit en cuisine où une femme d’un certain âge se remarie avec un jeune homme de 15 ans son cadet pour sauver son restaurant.

Enfin, toujours en petit format, Le journal d’un réformé complète la collection avec un titre historique en trois volumes, de Fûtarô Yamada, à sortir au début de l’été 2024. Un récit émouvant dans une ambiance d’après-guerre qui saura chatouiller la curiosité des lecteurs de Sengo de Sansuke Yamada.

Les auteurs underground

L’année 2024 sera également marquée par la réimpression du très beau Monde selon Setchan de Tomoko Oshima. Dans la catégorie « réédition », Lunatic Lover’s et Yume no Q-Saku de Suehiro Maruo obtiennent une nouvelle édition, dotée d’une traduction rafraîchit par Miyako Slocombe. Yume no Q-Saku sera agrémenté de deux histoires inédites.

Au côté des mangas hors sentiers battus de Suehiro Maruo, le Lézard Noir poursuit son exploration de la culture du manga underground avec l’Anthologie Sexapocalyps de Kazuhiko Miyaya. Annonce que le Lézard Noir avait faites en juillet 2022, alors qu’on apprenait le décès de l’auteur, personnalité marquante du manga politique du genre Gekiga.

Extrait – The Art of Baron – Baron Yoshimoto

Une tendance que Stéphane Duval souhaite poursuivre avec l’édition de l’Anthologie Baron Yoshimoto en 2025.  « C’est l’ADN du Lézard Noir d’aller chercher ces auteurs. affirme l’éditeur, rappelant que ces auteurs underground ont longtemps été mis de côté. « Autrefois les éditeurs étaient des kamikazes, aujourd’hui ce sont des employés de bureau. » énonce l’éditeur d’après une citation de Bonten Taro de l’Anthologie Sex and Fury (à retrouver chez l’éditeur).

Extrait – The Art of Baron – Baron Yoshimoto

Les grands retours

2024 sera également une année sous le signe d’Ai Tanaka, autrice du Roi des Limbes qui revient avec deux nouvelles séries : Les enfants du Pommier et La cuisine du Tengu.

Les enfants du pommier – Ai Tanaka / Kodansha LTD

En mai, Zenkamono : Repris de justice, de Masahito Kagawa et Toji Tsukishima, fait son grand retour après trois ans d’absence avec une nouvelle traductrice, Ryoko Akiyama. A l’approche de l’été 2024, les lecteurs d’Ayako Noda pourront se délecter du tome 4 de Double. Série désormais traduite par Adrien Blouet.

L’année se poursuit avec le retour de Mochizuki Minetaro dans No manga no life, récit autobiographique dans lequel l’auteur revient sur la vie ordinaire d’un mangaka, notamment durant l’écriture de ses œuvres. L’album, traduit par Constant Voisin, compte déjà deux tomes au Japon.

Fin août, Le Lézard Noir poursuit côté autobiographie avec deux nouveaux ouvrages de Keigo Shinzo. Le manga No Reaction (titre provisoire), regroupe plusieurs petites histoires plus ou moins autobiographiques, notamment sur la maladie de l’auteur. Le second manga est en réalité sa première œuvre éditée : La planète Verte.

La planète verte – Keigo Shinzo – Lézard Noir

L’année 2024 du Lézard Noir sera donc marqué non seulement par son indéfectible affection pour le manga underground, mais aussi par l’installation durable d’un manga plus accessible, autant par le format que par leur ambiance légère.

À propos de l'auteur de cet article

Marie Lonni

"C'est fou ce qu'on peut raconter avec un dessin". Voilà comment les arts graphiques ont englouti Marie. Depuis, elle revient de temps en temps nous parler de ses lectures, surtout quand ils viennent du pays du soleil levant. En espérant vous faire découvrir des petites pépites à savourer ou à dévorer tout cru !

En savoir