De l’air

Janis et Jonas sont un couple d’artistes talentueux. Un jour, arrive dans leur vie, Giuseppe, un jeune homme qui lorsqu’il est heureux, lévite. De l’air : une magnifique surprise signée Gabrielle Piquet !

Doux compagnonnage

Depuis que Janis a rencontré Jonas, ils ne se quittent plus. Leur vie de compagnonnage – de couple – est parfaite.

“Ces deux-là sont au diapason depuis le jour de leur rencontre. Évidence, éblouissement mutuel, pour en parler les mots manquent.”

Dans leur grande maison où baguenaudent chiens, chats et oiseaux, ils laissent leur imagination errer. Janis et Jonas sont deux très grands artistes. Tous les arts sont leurs univers. Musique ou peinture, rien ne leur résiste. Ils sont talentueux et complémentaires. Ils se nourrissent l’un l’autre, nourrissant leurs œuvres.

Une maison comme écrin

Depuis quelque temps, la ville est sous couvert d’un confinement. Toutes les habitantes et tous les habitants doivent rester chez eux.

Alors Jonas et Janis cultivent leur art dans leur maison. Elle devient leur écrin pour composer, peindre ou écrire.

“Leurs conversations sont pleines de verve. Poètes, ils parlent une langue qu’eux seuls comprennent. Surtout, la chanson est la même. Là est l’essentiel pour une union pérenne.”

Point de dissonance dans leur vie. Tout est merveilleux.

Giuseppe lévite

Au détour d’une promenade, Jonas et Janis tombent nez à nez – ou plutôt nez vers le ciel – sur Giuseppe.

Le couple est subjugué par ce jeune homme. Il lévite. Lorsqu’il est content, Giuseppe s’envole.

Pourtant, le lévitateur n’est pas tendre avec lui-même. Il pense qu’il est un âne. Il faut souligner que tout le monde dans son village le traite ainsi. Bête à manger du foin, il l’a donc intégré.

“Un âne ? Qu’est-ce que c’est que cette histoire ? Tu es un oiseau rare, n’écoute pas les jaloux !”

Sur ces paroles réconfortantes, Giuseppe est heureux. Il sent que Janis et Jonas sont deux hommes bienveillants. Il est alors invité chez eux. Commence une colocation à trois. Un moment de grande liberté de création…

De l’air, une ode à l’amour et à la liberté

De Gabrielle Piquet, nous connaissions La nuit du misothrope & La mécanique du sage, albums publiés par Atrabile. Ces deux publications nous avaient d’ailleurs charmé par leur intelligence, leur singularité et un dessin superbe.

L’autrice né en 1979, diplômé de l’EESI d’Angoulême, poursuit son chemin avec De l’air. Une ode à l’amour et la liberté.

L’amour de deux artistes, l’amour de l’autre, l’amour et ses conditions, l’amour en partage. Ce couple d’hommes est équilibré. Jonas et Janis trouvent leur équilibre de couple grâce aux arts qu’ils déploient. Ils sont intelligents et questionnent leur(s) art(s). Ils se complètent et s’aiment.

Mais leur routine se fracasse avec l’arrivée de Giuseppe. Cet équilibre à deux va-t-il devenir un équilibre à trois ?

De l’air et des savoirs

Gabrielle Piquet glisse de nombreuses thématiques dans son album. Il y a notamment l’intelligence, le haut potentiel intellectuel et les savoirs culturels. Si Janis et Jonas sont heureux, ils ne peuvent pas vraiment partager leur bonheur et leurs arts. Ils restent ensemble dans leur maison.

Pourquoi ? Tout simplement parce qu’ils sont d’une rare intelligence et pensent que le commun des mortels ne peut les comprendre. Ils sont assez hautains en ce sens. Ils sont talentueux mais incompris. Comment se fondre dans la masse, le réel lorsque l’on est à part ?

De l’air, de la liberté

De liberté, il en est aussi question dans De l’air. La liberté de créer, la liberté d’être soi aussi. Giuseppe qui prétend être un âne possède un don inestimable : voler. Cela lui permet également d’être libre. S’il ne contrôle pas ces moments de lévitation, il peut néanmoins prendre de la hauteur.

Pour réaliser son album, Gabrielle Piquet s’est inspirée de la légende de San Giuseppe da Copertino. Ce moine franciscain du XVIIe siècle aurait réussi à léviter après une procession en l’honneur de saint François d’Assise à Copertino.

Inspirations et influences

L’autrice d’Arnold et Rose a également puisé dans d’autres inspirations. En plus des écrits de Montaigne, la mer est un lieu important dans De l’air. La ville se trouve en bord de mer et Giuseppe l’a traversée après avoir été rejeté par les siens. La mer s’ouvre toujours vers le monde, vers l’extérieur.

Gabrielle Piquet insiste également sur la figure de l’âne. Celui ou celle qui n’a pas les mêmes intelligences que les autres. Rabaissé parce que bête, c’est pourtant de lui que naît la lumière dans l’album.

De l’air, hommage à Quino

Si les lecteurs peuvent penser à Jean-Jacques Sempé en regardant les planches de De l’air, ils découvrent une très jolie influence de Quino.

D’ailleurs, Gabrielle Piquet ne s’en cache pas. Elle a voulu rendre hommage au créateur de la merveilleuse série Mafalda. Si l’on peut y voir des interrogations sur le monde comme la petite fille imaginée par l’auteur argentin, c’est aussi dans son dessin que l’autrice parisienne lorgne. Quino était un très grand dessinateur de presse. Comme entrevu dans Manger quelle aventure !, l’Argentin laissait naviguer son œil aiguisé sur l’actualité. Piquant sans être féroce, il n’hésitait pas à fustiger le régime dictatorial des militaires de son pays.

Il y a de l’élégance dans le dessin de Gabrielle Piquet. Il est à la fois léger, aérien mais fourmille aussi de détails. Son trait hyper lisible accueille sa fantaisie et ses mouvements. De l’air, c’est aussi le premier album que l’autrice réalise en couleur. Et c’est réussit !

De l’air est la très belle surprise de cette fin d’année. Un génial album de la talentueuse Gabrielle Piquet. Une autrice à (re)découvrir !

Article posté le vendredi 03 novembre 2023 par Damien Canteau

De l'air de Gabrielle Piquet (éditions du Seuil)
  • De l’air
  • Autrice : Gabrielle Piquet
  • Éditeur : Seuil
  • Prix : 22 €
  • Parution : 03 novembre 2023
  • Pagination : 112 pages
  • ISBN : 9782021541458

Résumé de l’éditeur :

– C’est bien, vous avez fait la moitié du chemin. En effet, pourquoi se contraindre au conjoint ? Vos rêves, de l’autre côté de la mer, sont réels depuis belle lurette. Comment aimer tout en restant soi-même et libre ? Gabrielle Piquet revient avec une fable dessinée subtile et irrésistible, son premier livre en couleur, et s’interroge sur l’amour conditionnel, les bienfaits de la solitude et les difficultés à vivre en société quand on est doué de talent.

À propos de l'auteur de cet article

Damien Canteau

Damien Canteau est passionné par la bande dessinée depuis une vingtaine d’années. Après avoir organisé des festivals, fondé des fanzines, écrit de nombreux articles, il est toujours à la recherche de petites merveilles qu’il prend plaisir à vous faire découvrir. Il est aussi membre de l'ACBD (Association des Critiques et journalistes de Bande Dessinée). Il est le rédacteur en chef du site Comixtrip.

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