Quand on parle cinéma muet américain, les premières images qui nous viennent en tête sont celles de Charlie Chaplin ou de Buster Keaton sur fond de noir et blanc. Mais il est un autre de ces acteurs qui est tombé l’oubli.
Julien Frey et Nadar, les auteurs de l’excellent L’œil du STO, nous entraînent cette fois dans les années 20, à la rencontre de Fatty, le premier roi d’Hollywood, un album publié chez Futuropolis.
L’âge d’or du cinéma muet
Charlie Chaplin (1889 – 1977), Buster Keaton (1895 – 1966), Stan Laurel (1890 – 1965), Oliver Hardy (1892 – 1957) et même le français Max Linder (1883 – 1925) dont le jeu inspirera Chaplin pour son personnage de Charlot. Voici quelques noms qui ont marqué le cinéma muet. Mais un seul ne fait pas partie de ce panthéon d’acteurs.
Au début du XXe siècle, l’accès à l’Opéra et au théâtre était réservé à une certaine élite financière. Le cinéma muet, avec ses gags burlesques et ses acteurs qui se moquaient des patrons, attirait les foules de travailleurs dans les cinémas.
Les acteurs étaient connus des deux côtés de l’Atlantique puisqu’il n’y avait aucun besoin d’assurer la traduction de ces courts-métrages en noir et blanc qui inondaient toutes les salles obscures.
Fatty, le premier roi d’Hollywood
Mais alors, pourquoi le nom de Roscoe Arbuckle, surnommé Fatty en raison de sa colossale stature, n’est-il point parvenu jusqu’à nous ?
Originaire du Kansas, il faisait rire aux éclats avec son jeu, ses mimiques et ses gags, il faut le reconnaître, pas toujours très fins et souvent misogynes.
À la fois acteur et réalisateur, c’est lui qui va lancer celui qui deviendra son fidèle ami, l’homme qui ne rit pas, Buster Keaton.
Tout lui réussit puisqu’il devient, en 1919, le premier acteur à signer, avec la Paramount, un contrat dépassant le million de dollars. Mais tout succès a son revers de la médaille. L’acteur ne plaît pas à tout le monde dans le milieu du cinéma hollywoodien
Un scandale sexuel et trois procès à charge
En 1921, au fait de sa notoriété, Fatty Roscoe Arbuckle organise au St Regis, un très grand hôtel de San Francisco, un weekend auquel il convie, parmi de nombreux invités, son ami Buster Keaton.
C’est lors d’une de ces soirées, où l’alcool coule à flot malgré la prohibition, qu’est retrouvée, effondrée dans la salle de bain, une jeune actrice du nom de Virginia Rappe.
La starlette décèdera le lendemain. Une de ses amies, présente à la soirée, Maude Melmont va accuser Roscoe Arbuckle d’avoir violé et tué la jeune femme de 26 ans. Roscoe est arrêté et envoyé en prison.
Malgré un bataillon d’avocats (une défense à un million de dollars) et un manque évident de preuves face à une accusatrice absente, trois procès seront nécessaires à Roscoe Arbuckle pour être déclaré finalement non coupable.
Ruiné et malgré le soutien inconditionnel de son ami Buster Keaton, les portes du cinéma resteront désormais fermées pour lui.
Une aubaine pour la presse à scandales
Un des personnages présents dans cet album n’est personne d’autre que William Randolph Hearst, le magnat de la presse américaine. Ce spécialiste du yellow journalism ou de la presse à scandales a réussi, en ce début de XXe siècle, à développer une presse populiste. Avec son journal le San francisco Examiner, celui qui a servi de modèle à Orson Welles pour son film Citizen Kane, est prêt à maquiller la réalité pour faire vendre son journal.
En effet, l’acteur ayant refusé de lui parler, il a bien fallu qu’il invente. D’ailleurs le but recherché aura été atteint puisque Hearst réussira à vendre plus de papier que lors de l’entrée en guerre des États-Unis lors du premier conflit mondial.
Des conséquences sur le milieu du cinéma
À la suite de ce scandale, un avocat du nom de William Hays va édicter les premières règles, qui dorénavant régiront le cinéma américain. En effet, la National Legion of Decency (Ligue pour la vertu, d’obédience catholique) militait déjà pour la « purification » de l’industrie du cinéma afin de protéger la population, et surtout les enfants, de toute mauvaise influence.
À la tête de l’association des réalisateurs et des producteurs de cinéma ( MPPDA) qui regroupe les six plus grands studios d’Hollywood, le républicain Hays décide de mettre en place un « code de la censure ». Dès 1934 et jusqu’en 1966, les réalisateurs et les producteurs devront s’y conformer et s’auto-censureront en bannissant de la vue de tous, entre autres certaines parties du corps féminin, tel le nombril.
Ceci va obliger les réalisateurs et producteurs de film à redoubler d’inventivité et d’ingéniosité pour matérialiser les actes sexuels bannis de l’écran. Dorénavant, ils utiliseront des images, telles celle du train entrant dans un tunnel ou du bouchon sautant d’une bouteille de champagne, pour éviter la censure.
Fatty, un acteur remis en lumière
Passionné par le cinéma, le scénariste Julien Frey avait déjà parlé d’un oublié du cinéma français dans un précédent album Avec Edouard Luntz, le cinéaste de âmes inquiètes, fruit de sa première collaboration avec Nadar.
Cette fois, le duo a mis de la couleur dans cette histoire pour parler de cinéma en noir et blanc et c’est une très intéressante plongée dans les studios cinématographiques américains qu’ils nous font faire.
On dévore ce récit qui ressemble véritablement à un documentaire sur Hollywood et ses dérives puritaines, qui ont la vie dure, aujourd’hui encore. En effet, la violence a parfaitement droit de cité, les réalisateurs en usent et en abusent alors qu’une poitrine féminine doit être systématiquement cachée! Une réminiscence des pilgrim fathers, les très religieux Anglais arrivés avec le Mayflower qui accostèrent en 1620 et s’installèrent en Nouvelle Angleterre, pour y bâtir les futures treize colonies.
Les dessins de Nadar, après avoir été en noir et blanc dans L’œil du STO, retrouvent des couleurs et un trait fin. Les expressions des personnages sont véritablement très expressives comme l’étaient les acteurs au temps du cinéma muet.
Un documentaire sur les dessous d’Hollywood
Avec Fatty, le premier roi d’hollywood, Julien Frey et Nadar ont réussi à remettre sur le devant de la scène un acteur oublié du grand public. Mais ils nous ont surtout présenté une histoire d’amitié et de fidélité entre deux hommes, Roscoe Arbuckle et Buster Keaton, que tout opposait à commencer par la silhouette et la physionomie.
Cette bande dessinée vraiment très intéressante permet de comprendre ce que fut le monde du cinéma muet, ainsi que les dérives puritaines que la société américaine porte encore en elle.
Une très belle réussite que ce Fatty, troisième collaboration de ce formidable duo.
- Fatty, Le premier roi d’Hollywood
- Scénariste : Julien Frey
- Dessinateur : Nadar
- Editeur : Futuropolis
- Prix : 27 euros
- Parution : 18 août 2021
- ISBN : 9782754829250
Résumé de l’éditeur : Los Angeles. Septembre 1921. Acteur et réalisateur, Roscoe Arbuckle, dit « Fatty », est au sommet de sa gloire. Plus connu que Charlie Chaplin et Buster Keaton réunis, il est le premier acteur à gagner un million de dollars par an. Mais l’Amérique puritaine souhaite moraliser Hollywood et voit d’un très mauvais œil la vie « de débauche » de Roscoe. Dans quelques jours, la fête qu’il a organisée va virer au drame et le plonger au coeur du premier grand scandale hollywoodien… Les studios, les ligues de vertu, les tabloïds, et toute l’Amérique se lieront contre lui. Mais Roscoe pourra toujours compter sur son ami Buster Keaton.
À propos de l'auteur de cet article
Claire Karius
Passionnée d'Histoire, j'affectionne tout particulièrement les albums qui abordent cette thématique. Mais pas seulement ! Je partage ma passion de la bande dessinée dans l'émission Bulles Zégomm sur Radio Tou'Caen et sur ma page Instagram @fillefan2bd.
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