Soixante printemps en hiver

Le jour de ses soixante ans, Josy quitte sa famille. Elle étouffe, elle veut enfin vivre. Se sentir en phase avec elle même. Elle grimpe dans son van pour conquérir ce petit bout de liberté qu’elle n’a, jusqu’à présent, jamais pris la peine d’explorer. Ingrid Chabbert et Aimee de Jongh mettent en image cette fuite pour un ailleurs meilleur dans Soixante printemps en hiver. Un album lumineux, positif, drôle et poignant. Merveilleux !

Liberté, liberté chérie…

Dans sa chambre, Josy prépare sa valise. C’est décidé : elle part. Fini le mari agréable pour lequel elle n’a plus de sentiments depuis des années. Fini ses deux enfants. Fini ses petits-enfants. Finie cette maison qui vivote sans jamais se sublimer.

« Je pars. »

Deux mots. Deux simples mots pour tout changer. Deux mots pour la liberté. C’est tellement soudain que mari et enfants sont déstabilisés.

Pourtant à soixante ans, c’était maintenant ou jamais. Maintenant pour un futur plus beau, un ailleurs forcément meilleur.

Le combi Wolkwagen : un vieux cocon pour de nouvelles aventures

« La nuit, je mens.. ». C’est au rythme de la chanson d’Alain Bashung que Josy arpente les routes enneigées de sa région. A bord de son vieux combi Volkswagen, elle chante, heureuse d’avoir laissé son passé dans sa maison, son ancienne maison devrait-on dire. Elle le sait, elle ne reviendra pas. Elle ne fera pas demi-tour. Elle a la vie devant elle, Josy. Mais, elle ne sait pas ce qui l’attend dans cette nouvelle vie…

Elle s’arrête alors sur un parking. Là, deux policiers font encore la morale à une maman et son bébé. Les reproches passés, Josy s’approche. Elle fait alors la connaissance de Camélia et de Tom. Deux êtres isolés, comme elle à présent. Deux êtres qui vont réchauffer son cœur dans le froid glacial de son van et de sa nouvelle vie…

Soixante printemps en hiver, tout simplement la vie

Coup de tête, coup de cœur, coup de chaud, coup d’amour, coup d’amitié. Soixante printemps en hiver, c’est un peu tout cela et surtout beaucoup plus encore. A chaque nouvelle album, je dis qu’Ingrid a écrit son meilleur album et à chaque fois, elle me surprend. Débutée avec le magistral Écumes, la carrière de cette scénariste se fraye un chemin dans le monde parfois difficile du 9e art. Si j’aime lorsqu’elle raconte des histoire aux plus jeunes (Elma une vie d’ours, Autobiographie d’une courgette…), qu’est-ce qu’elle est douée lorsqu’elle parle des choses du quotidien et de la vie ! C’est une vraie conteuse, une vraie autrice qui happe le lecteur par des sentiments universels montrés sans fard mais avec une grande justesse.

A l’image de Shadow Life, qui aborde les mêmes thématiques, Soixante printemps en hiver est un condensé de ce que l’on peut ressentir une fois dans sa vie : l’amour, l’amitié, le chagrin, les doutes et les joies. L’album aborde aussi le temps qui passe, le futur lorsque l’on est âgé, les envies, les regrets, les concessions mais surtout la liberté. Soixante printemps en hiver, c’est un vrai hymne à toutes les libertés. Le concept de liberté doit se vivre pour être puissant, il ne doit pas resté qu’un idéal. Et Josy l’a bien compris, elle veut vivre ces libertés avant qu’il ne soit trop tard.

De l’huître à la perle

Ingrid Chabbert construit son personnage comme si d’un enfermement physique et intellectuel – une huître recroquevillée – Josy s’éveillait aux autres pour devenir la perle du coquillage. Mutique et mal dans sa peau, elle découvre la vie par Camélia et Tom, par le Club des Vilaines libérées et par Christine.

On s’engueule dans Soixante printemps en hiver, on pleure, on rit et on s’aime. Quoi de plus simple comme sentiments !

J’apprécie vraiment les personnages secondaires imaginées par la scénariste et en premier lieu, les deux compagnons d’infortune de Josy : Camélia et son fils. Elle est jeune, elle est drôle, elle est pétillante. Elle est ce que la sexagénaire n’est pas. Celle qu’elle aurait voulu être ? Sûrement. En tout cas, cette maman aurait aimé avoir Josy comme mère. Et on apprécie qu’elles s’épaulent toutes les deux, qu’elles se soutiennent malgré les obstacles dans leur vie.

Mais, pour ne pas gâcher votre plaisir de lecture, je n’ai dévoilerais pas plus. Juste dire que la vieille femme va enfin connaître le bonheur de l’amour.

Aimee de Jongh ou la beauté des corps

Soixante printemps en hiver, c’est avant tout cette merveilleuse couverture signée Aimee de Jongh. Une belle et jeune sexagénaire la tête dans le vide, allongée sur son van. C’est d’une grande simplicité, une belle lisibilité mais d’une très grande force évocatrice.

L’autrice de Jours de sable et de Taxi est vraiment la dessinatrice idéale pour sublimer l’histoire intimiste d’Ingrid Chabbert. Tout en délicatesse, elle réalise de magnifiques planches dans un style semi-réaliste très bien maîtrisé.

Comme dans L’obsolescence programmée de nos sentiments (avec Zidrou), elle magnifie les corps des personnages âgées. Sans fioriture. Juste avec la réalité. Et ils sont beaux ces corps de vieux. Oui, vieux n’est pas péjoratif, c’est d’ailleurs tout le discours de Soixante printemps en hiver.

On monte dans le combi Volkswagen de Josy et on la suit au bout du monde, un monde d’amitié, d’amour et de liberté. Soixante printemps en hiver, c’est une très belle surprise mise en image par un duo d’autrices talentueuses. Vamos !

Article posté le samedi 21 mai 2022 par Damien Canteau

Soixante printemps en hiver de Ingrid Chabbert et Aimée De Jongh (Dupuis / Aire Libre)
  • Soixante printemps en hiver
  • Autrice : Ingrid Chabbert
  • Dessinatrice : Aimée De Jongh
  • Éditeur : Aire Libre / Dupuis
  • Prix : 23 €
  • Parution : 20 mai 2022
  • ISBN : 9791034747375

Résumé de l’éditeur : Le jour de son 60e anniversaire, Josy refuse de souffler les bougies de son gâteau. Sa valise est prête. Elle a pris une décision : celle de quitter mari et maison pour reconquérir sa liberté en partant avec son vieux van VW ! Sa famille, d’abord sous le choc, n’aura dès lors de cesse de la culpabiliser face à ce choix que tous considèrent égoïste. Josy va heureusement tenir bon, trouvant dans le CVL (« Club des Vilaines Libérées ») des amies au destin analogue et confrontées à la même incompréhension sociétale… Mais cela suffira-t-il pour qu’elle assume sa soif d’un nouveau départ ? Et qu’elle envisage peut-être même un changement d’orientation sexuelle ? Oui, si l’amour s’en mêle. Ou pas… Aimée De Jongh et Ingrid Chabbert composent la peinture subtile, touchante et moderne d’une crise de la soixantaine au gré d’un road movie impossible à lâcher avant sa conclusion. Un « Aire Libre » surprenant, osant traiter le tabou du changement de vie et d’orientation sexuelle…

À propos de l'auteur de cet article

Damien Canteau

Damien Canteau est passionné par la bande dessinée depuis une vingtaine d’années. Après avoir organisé des festivals, fondé des fanzines, écrit de nombreux articles, il est toujours à la recherche de petites merveilles qu’il prend plaisir à vous faire découvrir. Il est aussi membre de l'ACBD (Association des Critiques et journalistes de Bande Dessinée). Il est le rédacteur en chef du site Comixtrip.

En savoir