De son vivant, le travail photographique de Vivian Maier nous était inconnu. C’est seulement en 2007 que son talent éclata au grand jour. Marzena Sowa et Émilie Plateau dévoilent sa vie, entre son travail de nourrice, des clichés par milliers et son œil aiguisé sur le monde qui l’entoure. Une femme inspirante, une histoire bouleversante.
Les Gensburg, une vraie famille pour Vivian Maier
Chicago dans les années 1960. Vivian Maier, jeune femme dans la trentaine, est heureuse. Elle travaille comme nourrice pour la famille Gensburg. Elle s’occupe de trois enfants avec bienveillance et délicatesse.
Mais le plus surprenant pour une nourrice, c’est qu’elle porte toujours un appareil photo autour de son cou. Elle ne quitte jamais son Rolleiflex, prêt à prendre n’importe quel cliché. Fixer le quotidien des habitants est aussi son quotidien.
Un vie en cliché
Pour cela, Vivian achète des pellicules chez un marchand de son quartier. Enfin, dans sa chambre où les enfants ont interdiction de rentrer, elle a installé un labo pour développer ses clichés. Fixateur, séchage, lumière rouge, tout est bien organisé. Puis, elle les range dans des boîtes. Elle est à la tête de milliers de photos.
Elle pose un regard aiguisé sur le monde qui l’entoure. Un monde en pleine effervescence. John Fitzgerald Kennedy président, Martin Luther King assassiné, le Ku Klux Klan et ses lynchages d’hommes et de femmes noir.es et des émeutes pour l’obtention des droits des noirs américains. Tout est là, à graver sur une photo.
“Tu nous montres toujours l’envers du décor. Et l’envers, c’est ce qui est le plus intéressant. “J’aime les endroits, mais j’adore les envers.” Ce sont tes mots.”
Un jour, Vivian emmène Matthew, l’aîné des Gensbourg. L’école buissonnière est l’école de la vie. Ensemble, ils se promènent dans un quartier de Chicago dévasté par les émeutes après la mort du pasteur Luther King. Leur but : prendre des photos de ce mouvement.
Vivian Maier, la petite fille de Champsaur
La jeune femme se nourrit de ses voyages. Après Chicago chez les Gensberg, Vivian découvre le Canada, l’Italie, Bangkok ou encore l’Égypte.
Mais la grande photographe a grandi, chez nous, en France. Née à New York en 1926 d’un père Américain et d’une mère Française, Vivian reste auprès de sa maman après le divorce de ses parents.
Née en 1897 à Champsaur dans les Hautes-Alpes, Marie Jaussaud – la mère de Vivian – décide de revenir dans son village natal pour élever sa fille.
La passion de Vivian pour la photo naît pendant cette période. La petite fille et sa maman logent chez Jeanne Bertrand, photographe professionnelle.
La renaissance de Vivian Maier
En 2007, deux ans avant son décès, Vivian doit se résoudre à se séparer de ses biens. Âgée, elle est hospitalisée. Mais les frais de soins sont chers. Une vente aux enchères est organisée. Des milliers de clichés sont achetés par John Maloof. Il était à la recherche de photos pour publier un livre sur le quartier de Portage Park à Chicago. Mais dans le lot, il n’y en avait pas.
Néanmoins, Maloof trouve les clichés superbes. Il découvre alors le talent et l’importance du travail de Vivian Maier. Mais lors de cette révélation, il est trop tard : la vieille dame est décédée. Il publie alors le livre Vivian Maier, Street Photographer. Les articles de presse sont nombreux. Le monde entier découvre la photographe du quotidien.
Vivian Maier, l’historienne du quotidien
Tous les clichés mettent en lumière des pans entiers de populations n’ayant pas eu voix au chapitre. Son travail est important pour les historien.nes. Elle photographie les petites gens, les injustices, le racisme et les différentes classes sociales.
Des expositions à Champsaur et dans le monde entier sont organisées. Le musée du Luxembourg à Paris accroche des photographies de Vivian en 2021. En parallèle, Paulina Spucches fait paraître la bande dessinée Vivian Maier, À la surface d’un miroir.
Marzena Sowa et Émilie Plateau pour un très bel album
Aujourd’hui, ce sont les éditions Dargaud qui proposent une biographie de Vivian Maier. Marzena Sowa (L’insurrection, La petite évasion) se plonge dans la vie romanesque de la photographe.
Avec des flash-backs bien pensés, l’autrice de La métamorphose de Théo dévoile une existence simple mais passionnée de cette femme inspirante. Prenant des clichés sans vraiment vouloir les exposer, Vivian Maier devient un témoin essentiel de son temps.
Telle Mary Poppins, Vivian occupe le travail de nourrice dans de nombreuses familles. Elle élève avec bienveillance les enfants qui lui sont confiés. Sa vie est d’une grande simplicité comme le montre l’album. Mais la photo comble sa vie de célibataire sans enfant. Elle est libre de ses allers et venues. L’indépendance est sa valeur cardinale. Son appareil tient bien évidemment l’axe central de sa modeste vie.
En claire-obscure
Comme pour Noire la vie méconnue de Claudette Colvin, Émilie Plateau met en image avec un très grande douceur cette biographie de Vivian Maier. Colvin, jeune femme noire américaine, se dressa contre la ségrégation, Maier photographia les gens lambda. A leur manière, elles se ressemblent, se complètent. Elles ont fait avancer la reconnaissance des personnes modestes et des minorités. Il semblait logique que l’autrice de L’épopée infernale mette tout son talent à leurs services, pour que le grand public les découvre.
Son trait minimaliste convient bien à la modestie de la photographe. Émilie Plateau sait donner de la chair à ses personnages pour qu’ils puissent nous toucher. Les lecteurs se sentent proches de Vivian. L’empathie pour cette personnalité vient aussi de ce dessin aux couleurs sobres.
- Vivian Maier, Claire-Obscure
- Scénariste : Marzena Sowa
- Dessinatrice : Emilie Plateau
- Éditeur : Dargaud
- Prix : 19,95 €
- Pagination : 136 pages
- Parution : 26 janvier 2024
- ISBN : 9782205088939
Résumé de l’éditeur : Qui était Vivian Maier, cette « nounou pas comme les autres » dont on découvrit à titre posthume le talent immense de photographe ? Vivian Maier décède en 2009, à 83 ans, dans le plus grand anonymat. On redécouvre ses photos pleines d’humanité et d’attention envers les démunis et les perdants du rêve américain par hasard dans des cartons oubliés au fond d’un garde-meuble de la banlieue de Chicago. Personnalité complexe et parfois déroutante, femme libre dont le destin s’est écrit entre la France et l’Amérique, elle avait choisi de vivre les yeux grands ouverts. Vivian Maier claire obscure est le portrait par Émilie Plateau et Marzena Sowa de cette invisible photographe de génie.
À propos de l'auteur de cet article
Damien Canteau
Damien Canteau est passionné par la bande dessinée depuis une vingtaine d’années. Après avoir organisé des festivals, fondé des fanzines, écrit de nombreux articles, il est toujours à la recherche de petites merveilles qu’il prend plaisir à vous faire découvrir. Il est aussi membre de l'ACBD (Association des Critiques et journalistes de Bande Dessinée). Il est le rédacteur en chef du site Comixtrip.
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