Entretien avec Élodie Font et Carole Maurel pour Coming In

À l’occasion de la sortie de leur roman graphique Coming In, édité conjointement chez Payot Graphic et Arte Éditions, Élodie Font et Carole Maurel ont bien voulu répondre à nos questions. Cet entretien a eu lieu le 13 octobre 2021 lors du live présenté par Yoann Debiais sur sa page Instagram, @livressedesbulles. Voici la retranscription de ces échanges.

Tout d’abord, merci Élodie Font et Carole Maurel d’avoir accepté cette invitation pour nous parler de votre album Coming In. Pourriez-vous vous présenter et nous dire qui vous êtes ?

Carole Maurel : Je m’appelle Carole Maurel, je suis dessinatrice de bandes dessinées, parfois scénariste mais plus rarement. Je viens du milieu de l’animation, j’ai été formée pour ça. J’ai travaillé dix ans dans le milieu du dessin animé. Puis je me suis lancée dans mes premiers projets de bande dessinée, en collectif ou seule. Ma première était une bande dessinée d’humour, chez Casterman, mais on ne la trouve plus du tout. Puis j’ai sorti toute seule, Louisa ici et là chez La boite à bulles. Puis j’ai enchaîné avec deux albums chez Delcourt, L’apocalypse selon Magda scénarisé par Chloé Vollmer-Lo et Collaboration horizontale scénarisé par Navie. Ensuite il y en a eu chez Steinkis.

 

Couverture Luisa - Ici et là        Couverture Collaboration horizontale

Maintenant c’est ton tour Élodie ?

Élodie Font : Moi je m’appelle Élodie Font, je suis journaliste, notamment en radio. Je réalise des podcasts mais je suis aussi sur des antennes plus classiques. J’ai une formation de journaliste et je fais ça depuis 12 ans. En 2017, une maison d’édition m’a proposé de faire des bandes dessinées de reportage, ça m’a donné envie de me lancer et j’en ai écrit trois.

        Couverture Dans les coulisses des 24h du Mans

Coming In est mon premier roman graphique, en tant que scénariste.

Qui de vous deux veut bien nous faire le pitch de Coming In ?

Carole Maurel : On peut dire que c’est l’adaptation d’un podcast sorti en 2017 via la plateforme Arte Radio, dans lequel Élodie racontait son parcours, son dévoilement en tant que jeune fille homosexuelle.

Elodie Font : C’est le cheminement pour s’accepter.

Carole Maurel : Et l’intérêt d’en faire une bande dessinée était que, depuis la sortie du podcast, le cheminement s’était poursuivi. Et moi ça m’intéressait de le faire.

De nombreux albums parlent de coming out, mais jamais de coming in, alors pourquoi avoir choisi ce titre ?

Élodie Font : Je ne sais pas dans quelle mesure à Arte radio on a inventé ce terme. Il se trouve qu’on parle beaucoup du coming out, de ce moment où on dit aux autres qu’on est homo. C’est un moment important dont on se rappelle, qui parfois est difficile, parfois simple. Je voulais raconter autre chose que ce moment-là. Parce que pour moi, le coming out a été plutôt simple, mais le coming in, se le dire à soi, ça ça met vraiment du temps. C’est un cheminement sur des années. Le coming in est un cheminement pour s’accepter, quelle que soit sa différence.

Comment est venu ce mot Coming In  ?

Élodie Font : Le mot est venu lors d’un ping-pong quand le podcast est sorti. On cherchait un titre mais je ne saurais pas dire comment. Je ne me souviens pas qui a eu cette idée géniale de dire coming in, mais c’était ce mot là. Il suscite le questionnement mais ne rebute pas complètement.

Carole, connaissais-tu ce terme quand on t’a présenté le projet ?

Carole Maurel : Je m’en doutais, pour être passée aussi par là, à titre personnel. J’avais déjà exploité ce thème dans un album, où je disais que le coming out le plus difficile à faire, était celui qu’on se faisait à soi-même. Peut-on faire son coming out sans avoir fait son coming in avant ? C’est un processus plus long, plus difficile aussi parce que c’est un vrai travail de deuil sur soi. Ce titre me parlait bien, peut-être parce que j’étais concernée par le sujet. Il est assez éclairant.

Comment s’est opérée votre rencontre ?

Élodie Font : C’est de ma faute. Je suis amatrice de romans graphiques et de bandes dessinées. Connaissant le travail de Carole, j’en avais lu plusieurs. J’aimais son trait et ça me parlait intimement, comme si son dessin résonnait en moi. Quand il s’est agi de faire cet album, je voulais vraiment choisir qui allait dessiner. Je ne voulais pas qu’on m’impose quelqu’un, c’était mon histoire. Je voulais être réceptive à l’univers graphique de la personne qui allait travailler dessus. J’ai tout de suite pensé à Carole, je lui ai écrit.

Donc c’est toi Élodie qui a contacté Carole ?

Élodie Font : C’était bizarre d’écrire un mail demandant de travailler sur mon histoire. On a l’impression que je suis très centrée sur moi. Elle m’a répondu très gentiment qu’elle avait écouté le podcast et on s’est rencontrées pour la première fois en 2017. Ça a mis du temps, on n’avait pas encore l’autre maison d’édition avec Arte éditions. Pendant un certain temps, ça ne s’est pas fait. Et une nouvelle éditrice est arrivée chez Payot. Elle croyait beaucoup en ce projet là. J’ai recontacté Carole pour voir si elle était toujours partante. Je lui ai dit que je ne voyais pas Coming In sans son dessin.

Carole Maurel : C’était une question de timing parce qu’entre-temps, j’ai le projet Nelly Bly qui s’est greffé dans mon planning. Au-delà de l’envie, avec les dessinateurs et dessinatrices, il y a toujours des questions de planning. Ce n’est pas évident à gérer, un projet c’est un an, un an et demi de travail à chaque fois. Il fallait qu’un créneau se libère.

 

Pourquoi avez-vous fait le choix de cette couverture en trois grandes parties ?

Carole Maurel : Le visuel de la couv s’est imposé très rapidement. Il y a eu beaucoup de discussions au niveau de l’exécution, j’ai dû faire cinq six propositions. C’est celle-ci qui s’est démarquée. Ce n’est pas évident une couv, il faut en faire plusieurs. J’effectue un tri puis j’en renvoie cinq ou six à tout le monde et il y a débat ou pas.

Élodie Font : Je ne pense pas qu’il y a eu débat. Il y avait une envie qu’on comprenne les intentions avec la couv. L’idée de sortir la tête de l’eau. Les couleurs, on retrouve celles du drapeau LGBT. Je ne sais pas si c’était intentionnel de la part de Carole.

 

Couverture Coming in   

Carole Maurel : C’était complètement intentionnel !

Élodie Font : J’aime bien parce qu’en librairie l’œil peut être accroché par ce panaché de couleurs.

N’aviez-vous pas prévu un autre visuel ?

Élodie Font : La question s’était posée de savoir, si on mettait un baiser entre deux femmes en couverture. On s’était dit oui, mais non parce que ce n’est pas ça l’histoire. Ce n’est pas que l’histoire d’un baiser entre deux femmes. Il fallait une couverture qui explique tout un processus.

Carole Maurel : Un cheminement personnel, même si l’idée de couple aide à concrétiser ce cheminement. Il fallait faire en sorte que le personnage s’accepte et émerge. C’est quand même une histoire avec soi même, un récit personnel.

Comment le podcast avait été accueilli ?

Élodie Font : Ça a tout de suite accroché. Le soir même de la diffusion, j’avais des dizaines de messages. Je me suis dit qu’il se passait quelque chose.  Puis des centaines de messages, de gens que je connaissais et de gens que je ne connaissais pas. Pendant très longtemps, dans mon milieu professionnel, j’ai été la fille de Coming In. Il n’y avait pas une semaine sans qu’on en parle. C’était devenu ma carte d’identité professionnelle et personnelle.

Les deux, bandes dessinées et podcast sont complémentaires.

Pourquoi avoir eu l’idée du podcast au départ ?

Élodie Font : Jamais au départ je ne pensais raconter ça de ma vie. Mon travail c’est d’être journaliste, pas de parler de moi. C’est né d’une conversation avec Sylvain Gire qui dirige Arte radio. On s’est dit que ce sujet là serait intéressant à traiter, ce cheminement de l’acceptation de l’homosexualité par soi. J’avais trouvé des gens d’accord pour en parler. Mais lui m’a dit que je devais en parler moi. Je n’y avais pas du tout réfléchi avant. Je me suis complètement prise au jeu. Ça a été très rapide, en un weekend, j’avais écrit le podcast.

Je me suis dit que c’était en moi et que j’avais besoin de le dire.

N’était-ce pas également le moment ?

Élodie Font : Oui j’avais fait mon coming out plusieurs années auparavant. J’étais toujours en questionnement de savoir comment vivre mon homosexualité avec moins de douleur que ce que j’avais pu éprouver avant. La manif pour tous était derrière nous. La vie continue et le coming in aussi.

Comment avez-vous vécu la période de « la manif pour tous » ?

Élodie Font : Très mal ! J’ai le souvenir de plusieurs matin où je me réveille avec la radio, entendant de propos d’interviewés, vraiment insoutenables. Ça a bifurqué du mariage à des propos vraiment durs. J’ai pensé aux gens qui découvraient leur homosexualité. C’est déjà un chemin tellement compliqué et violent envers soi pour l’accepter. Alors vivre avec une telle violence de la société autour de soi , ce devait être horrible. Je me suis souvent remerciée que mon processus ait commencé avant.

Élodie font : Je ne sais pas ce que tu en penses Carole ?

Carole Maurel : Il y avait une dimension très intrusive. Tout à coup, on se retrouvait avec des gens qui ne nous connaissaient pas, qui se mettaient à juger notre vie et désapprouvaient nos projets de vie. C’est comme ça que je le prenais.

De propos terribles ont été tenus au sujet des homosexuels, comment les avez-vous ressentis ?

Carole Maurel : J’aurais aimé que ce soit l’histoire de quelques personnes et qu’on l’oublie. Mais malheureusement, ça a eu un impact. L’écho et le discours de ces personnes dans les médias. Une sorte de légitimité.

Élodie Font : C’est le temps que ça a duré qui a été très long. Des mois et des mois, qui ont laissé une empreinte sur moi.

Carole Maurel : On pouvait penser que ça allait durer le temps d’une manif, une semaine ou deux. Mais non, on continuait à voir des personnes interviewées sur des plateaux. C’était fatiguant émotionnellement.

Vous n’avez pas peur que le sujet revienne sur le devant dans la perspective des élections ?

Élodie Font : Je crois que tout le monde s’en fiche maintenant. C’est comme pour la PMA pour toutes. Ça ne concerne peu de personnes en France. Il ne va pas y avoir un tsunami d’enfants. Ça ne va pas bouleverser l’ordre de la société. Je ne vois pas comment ça pourrait arriver de nouveau dans le débat. La société n’a pas été changée par le mariage pour tous. Les gens qui étaient dans les manif n’osent plus en parler en interview. Ce serait ridicule, ça n’a aucun sens aujourd’hui.

Pourquoi le début de l’album ne correspond pas à celui du podcast ?

Élodie Font : Je n’ai pas réécouté le podcast que j’avais beaucoup entendu au début. Je l’ai en tête, mais je ne voulais pas trop y coller. Des phrases réapparaissent dans la bande dessinée, mais pas tant que ça.

Je m’ennuie vite, je ne voulais pas reprendre mon texte, ajouter quatre phrases et le donner comme ça à Carole. Ça n’aurait pas été un cadeau, quel ennui pour elle et pour moi aussi.

Donc tu as tout réécrit ?

Élodie Font : J’avais envie de me restimuler. De plus, il s’est passé quasiment cinq ans entre les deux. Et beaucoup de choses dans ma vie. Je voulais que transparaisse tout ce qui avait évolué en moi et notamment ce coming in.

Comme pour le mot lesbienne que je trouvais très moche. Mais en me renseignant, je n’étais pas la seule. La société avait fait que ce mot soit moche et que je ne m’y reconnaisse pas. C’est une façon d’invisibiliser les femmes homosexuelles que de ne pas les nommer.

D’où cette scène du tribunal au début de Coming In ?

Élodie Font : Pour écrire mon scénario, je suis partie d’une page blanche. J’avais très envie de commencer par cette scène où j’ai des copines qui m’enferment chez elles et qui me disent:  » Tu ne sortiras d’ici que quand tu nous auras avoué ton homosexualité ». C’est tellement sortir du placard au sens propre et au sens figuré, ce qu’elles voulaient. Il fallait que je commence par ça.

Étais-tu vraiment en colère à ce moment-là ?

Élodie Font : J’étais en folie. Pourquoi elles me disaient ça? Or je ne suis jamais en rage. Je suis quelqu’un de très tranquille dans la vie. Je ne me mets jamais en colère. Heureusement c’est derrière moi, ce passage de ma vie.

Carole Maurel : C’est important qu’un récit précis s’inscrive dans un temps précis . Il y a dix ans, je ne l’aurais pas traité de la même manière, avec les mêmes symboles, les mêmes métaphores, les mêmes images. Ça nous inscrit dans notre propre timeline personnelle.

Comment as-tu fait Carole pour le dessin ? As-tu réécouté le podcast?

Carole Maurel : Je l’avais écouté bien avant, en 2017 quand il est sorti. Je l’avais trouvé à l’époque , très immersif, très visuel, avec des effets sonores qui ressortaient. Je ne sais pas si on peut parler de mise en scène pour un podcast. Et je me suis dit que ça pourrait faire un bon film. Il y avait des images qui se projetaient déjà. Je l’ai réécouté pour voir si ces images étaient toujours là. Ça m’a un peu influencé, c’était un terreau pour moi. Le challenge a été de ne pas être dans l’illustration pure.

C’est le même exercice quand on travaille sur une adaptation de roman.

On n’a pas la même chose mais quelque chose de complémentaire, sinon c’est un travail d’illustration.

Était-ce pour mieux te l’approprier ?

Carole Maurel : Dans le podcast il y avait une intention qui était déjà très marquée. Il fallait que je la réinjecte dans la bande dessinée. Je ne voulais pas trahir le récit d’Elodie. C’est à double tranchant. Il faut être à bonne distance pour s’approprier sans trahir le récit de base. Ou aussi pour pouvoir dire des choses qui ne sont pas dans le texte.

Comment s’est déroulé votre travail ? Quels furent vos échanges ?

Carole Maurel : Il y a eu un travail de ping-pong sur le storyboard préparatoire, la version brouillon de l’album avant de passer à l’encrage et à la couleur. Rien n’est figé, c’est le moment où on discute de la structure. On regarde la narration, la fluidité, si on doit rajouter des scènes.

Élodie Font : Quand j’ai écrit le scénario, les mots étaient importants pour moi. Je voulais qu’il y en ai dans l’espace. Dans ma vie j’ai été transpercée par des mots et je voulais que ça apparaisse, comme dans les pages du combat.

D’autant plus qu’il y a plein de choses à faire avec la typo. Je voulais qu’avec, on puisse dire plein d’autres choses, que ça illustre des émotions. Carole s’en est servie pour la mise en scène.

Pourquoi avoir ajouté cette scène de combat de boxe dans le roman graphique ?

Élodie Font : Parce que ça a été très violent, cette phase-là, j’ai eu l’impression d’avoir à me battre contre moi-même. Je n’en veux pas à la partie de moi qui était dans le déni. C’est un processus d’acceptation et c’est aussi de la fatigue. Et à la fin, c’est parce je suis épuisé que j’arrête de lutter.

Ce n’est pas un choix d’être homo.

On ne se lève pas un matin en se disant est ce que je vais être homo aujourd’hui. Quand on est homo, il faut l’embrasser, sinon on va vivre une vie de souffrance. Ça prend des années, mais à un moment il faut se jeter, ça ne va pas partir.

Mais en réalité, tu ne te dis pas je suis homo, mais je suis attirée par une fille.

Élodie Font : Je me dis allons-y, c’est pour toute la vie avec cette personne-là. Ça m’est arrivé plein de fois. Je me disais c’est cette fille-là, pas les autres filles. Il y a encore un processus à terminer. La phase la plus sombre a été deux, trois ans après.

Comment passe-t-on, dans le dessin,  de cette alternance de la couleur au noir et blanc ?

Carole Maurel : On suit l’évolution du personnage. Il y a des phases où on ne peut pas placer de la couleur dans le dessin. On avait parlé avec notre éditrice de cette variation graphique qui devait représenter au mieux les émotions, tout en gardant une unité. La couleur ou le noir et blanc doivent être justifiés.

La couleur sert de révélation pour le personnage, comme si on nous ôtait un filtre pour regarder la vie d’une autre manière.

C’est la métaphore choisie pour signaler le changement de paradigme.

Tu décris de ton acceptation, ce moment a-t-il été aussi rapide ?

Élodie Font : Oui ce moment-là a été un des plus beaux de ma vie. J’ai mis le pied sur le bon chemin, c’est le moment où j’accepte pour de vrai. Ce n’est pas seulement pour une seule fille. L’histoire de Coming In, c’est une histoire de rejet de soi pendant longtemps. Et de la violence que c’est, que de se rejeter soi. Et ce jour là, je décide que je ne peux plus. J’étais dans un état physique déplorable, avec un voile gris sur le visage alors que je suis une personne optimiste dans la vie.

C’est le premier jour du reste de ma vie.

Dans l’album , tu parles de deuil, est-ce à ce moment-là qu’il est terminé ?

Élodie Font : Le deuil de l’homosexualité oui. De ce qu’aurait pu être ma vie si j’avais été hétéro, oui. Il est consommé et il est même plutôt bien vécu.

On parle souvent du deuil quand on perd quelqu’un, mais dans la vie, il y a pleins de deuils. Des deuils, je continue à en vivre, mais celui-ci est derrière moi.

Carole peux-tu nous expliquer ta façon de travailler ?

Carole Maurel : Il y a eu beaucoup de recherches de mon côté, parce que beaucoup de variations graphiques. Quand il y a ces changements, c’est comme si on changeait la recette. Ça demande un temps d’adaptation plus ou moins grand. À chaque changement, je partais sur deux trois jours de recherche pour la partie qui suivait.

Vers la fin, le timing de rendu des planches était assez intense surtout. Mais j’avais mes palettes qui étaient faites et prêtes à l’emploi.

La phase de storyboard a été assez longue parce qu’il y a eu de la réécriture.

Quels outils ou techniques utilises-tu ?

Carole Maurel : J’ai beaucoup travaillé avec le numérique, c’est l’outil avec lequel je me sens le plus à l’aise. Certaines planches ont été faites sur papier mais je me suis rendue compte que ça demandait du temps de scanner les feuilles, de les nettoyer. D’ailleurs ça se voit, il y a un grain qui n’est pas le même.

Cet album restera un tournant pour moi, je me suis essayée à plein de choses sur une centaine de pages et j’ai l’impression d’avoir fait plusieurs albums.

Cette variation graphique n’est pas possible sur tous les albums. Le risque est d’être dans la surenchère, mais ici ça se justifiait bien.

La pagination prévue au départ était-elle identique à ce qu’elle est dans l’album ?

Élodie Font : Le nombre définitif !

Carole Maurel : Je trouve que ton découpage tenait bien la route. C’est important pour le le souligner surtout sur un album de ce format.

Élodie Font : Je tiens à le souligner, j’ai le syndrome scolaire. Si on me dit que mon histoire doit faire 149 pages, alors je fais tout pour. Comme je ne suis pas scénariste de base, je l’ai travaillée comme le reste de ce que je fais, avec beaucoup de précision. En radio tu as un timing à respecter. Si tu dois rendre à 17h, ce n’est pas à 17h12. J’ai l’esprit fait pour cela.

Dans le podcast tu fais intervenir Fanny, une amie, aurait-on pu imaginer la même chose dans l’album ?

Élodie Font : Ça aurait pu, mais ça ne marchait pas du tout. On se perdait dans la narration. Je ne voulais pas que de la narration dans mon texte. Ce n’est pas ce qui me touche le plus. Je voulais que ce qu’on avait à dire, transparaisse dans les dialogues, pour donner un côté vivant. Je voulais des scènes que Carole puisse interpréter, apporter sa patte. Pour que ce soit un récit où tout ne s’est pas passé réellement. La vraie histoire est trop longue et n’est pas intéressante. Même si le récit est quand même très intime.

Carole, comment as-tu travaillé sur les personnages, avais-tu des photos ?

Carole Maurel : Je ne connaissais qu’Élodie. J’avais des descriptions dans le scénario mais Élodie m’a laissée libre de m’approprier les personnages. Quand j’ai vu Fanny, ça ne ressemble pas trop. Je me suis appropriée l’essence des personnages sans que cela leur ressemble vraiment.

Élodie Font : Pour mes bandes dessinées documentaires, il fallait que les personnages collent aux personnes qu’on interviewe. Mais c’est très rarement réussi. Ça n’a rien à voir avec les dessinateurs, c’est juste très difficile de faire du portrait. Donc il valait mieux donner des indications, des traits de caractères. Comme ça, rien n’est faux. De même pour mon personnage, il n’y avait pas besoin qu’il soit une copie conforme de moi. D’ailleurs les gens autour de moi trouvent qu’il me ressemble.

Quelle a été la réaction de tes proches quand ils se sont vus dans la bande dessinée ?

Élodie Font : Ma compagne ne porte jamais de robe alors que Carole l’avait dessinée avec. Alors j’ai lui ai donc dit qu’il fallait la dessiner sans. Avec ce n’était pas elle.

Mon père aurait aimé être plus jeune que dans le dessin. Certaines copines se sont reconnues dans les dialogues et étaient très émues. D’une manière générale les gens sont contents parce qu’ils me connaissent et que l’histoire les touche.

On connaît l’avis de ta maman, de tes grands-mères mais pas de ton père pourquoi ? Est ce un choix ?

Élodie Font : Il est plus absent, mon père est beaucoup moins volubile que ma mère. On a discuté de mon cheminement. Lui me dit qu’il l’a très bien pris et que tout s’est bien passé. J’ai quand même le souvenir qu’il a été un peu choqué. Il ne s’y attendait pas du tout. C’est quelqu’un de réservé, c’est moins facile de savoir ce qu’il pense.

Au moment du coming out, c’est surtout ma mère qui parle beaucoup à table. Mais il est là, il accepte très bien ma vie même s’il est plus discret.

Donc tu n’en as parlé qu’après à ta famille ?

Élodie Font : Oui je voulais le mettre dans la bande dessinée, quand j’en parle avec mes deux grands-mères. J’appréhendais beaucoup, parce que c’est une autre génération. L’homosexualité est très loin pour elles. Mes parents avaient peur des réactions de leurs mères.

En réalité, quand on a 90 ans, on a vu beaucoup de choses. Et si leur petite-fille est heureuse, elle doit vivre sa vie. On a peur de la différence quand on ne connaît pas . Mais quand quelqu’un de proche vous dit qu’elle aime les femmes, la question se pose différemment.

Une de mes grands-mères m’a dit que je n’avais pas l’âge pour m’embêter avec les hommes. Elle m’a demandé si ma copine était gentille.

Après sur la question de l’homoparentalité, une était beaucoup plus réservée et se demandait comment c’est possible. C’était plus abstrait, plus compliqué à comprendre.

Dans l’album, tu dis ne pas vouloir ressembler aux butchs, peux-tu nous expliquer pourquoi ?

Élodie Font : Quand j’ai commencé à comprendre que j’étais homo, l’image de la lesbienne était très masculine, avec tout ce qu’on attribue à la gente masculine. C’était caricatural, je n’ai jamais été ni masculine ni féminine. Je ne me sentais pas du tout représentée et me demandais qui j’étais. Donc je leur en voulais beaucoup, j’avais l’impression qu’on me volait mon identité.

Quand j’ai trouvé ma manière à moi d’être lesbienne, je me suis dit qu’elles étaient libres d’être elles-mêmes. Chacun fait ce qu’il veut avec son corps.

J’ai rencontré plein de lesbiennes différentes et maintenant je n’en ai rien à faire. J’avais une homophobie intériorisée, une différence qui me gênait et qui n’avait aucun sens.

Comment qualifierais-tu cette bande dessinée,  est-ce une autobiographie ou une autofiction ?

Élodie Font : C’est une autofiction parce que beaucoup de scènes et mon ressenti sont réels. Mais les situations sont fictionnées et sont au service du cheminement. Elles racontent les choses d’une certaine manière. Il y a de la fiction dedans sinon ça n’aurait pas d’intérêt.

Comment se déroulent vos premières séances de dédicaces ?

Carole Maurel : Les gens commencent à faire connaissance avec notre album. Je pense qu’on va avoir pas mal de témoignages de personnes concernées ou de leurs parents. J’en ai déjà eu, des partages d’expériences très personnels. Je m’attends à cela.

L’accueil est chaleureux et bienveillant.

Élodie Font : Comme je suis novice, je ne sais pas, mais je suis déjà très touchée par des chroniques qui me bouleversent.

Avez-vous entendu parler de l’accueil que les libraires ont fait à votre album ?

Élodie Font : Je crois que ça marche plutôt bien. On a de la chance qu’il soit dans pas mal de vitrines et que des libraires en fassent leur coup de coeur ou écrivent un mot dessus.

Carole Maurel : Je ne suis pas du genre à stalker les librairies, j’évite d’aller voir car ça me fait peur. Mais je sais qu’il y a une aura bienveillante autour de cet album.

Je ne sais pas pour la presse, mais je suis chanceuse car je n’ai pas eu beaucoup d’albums qui aient eu autant de retours de la presse généraliste.

Voici ma traditionnelle dernière question, quelle est la dernière lecture graphique qui vous ait plu ?

Élodie Font : J’en lis beaucoup mais la dernière qui m’a touchée, remonte à il y a un an, parce que c’est Peau d’Homme. J’ai trouvé que l’histoire était tellement moderne. Le scénariste (Hubert) est décédé, il n’a pas vu la sortie de cet album qui marche très bien. Je trouve ça très triste. Un album est beau et fort dont on  ressort avec une émotion.

Couverture Peau d'homme

Et pour toi Carole ?

Carole Maurel : Il faisait également partie de mes choix, alors j’ai pris autre chose, Alix Garin avec Ne m’oublie pas. Cet album est hyper touchant. Il va droit au but émotionnellement parlant avec un dessin qui est assez expressif. De belles pages sensibles, j’ai été transportée. J’ai une mamie qui a cet âge-là et ça m’a parlé. Je ferais bien un road trip avec elle. En plus c’est un premier album.

Couverture Ne m'oublie pas

J’avais également Celestia de Manuele Fior, un album très énigmatique, de la SF onirique. C’est aussi énigmatique qu’un film de David Lynch. Un album qui invite à s’y replonger plusieurs fois pour comprendre des petits morceaux du récit. On se laisse embarquer dans cet album comme dans un rêve. Visuellement c’est une claque. Je n’ai pas décroché du tout parce que les dessins accompagnent. Je ne saurai pas expliquer pourquoi je le retiens. Ça doit parler à mon inconscient.

Merci beaucoup Élodie Font et Carole Maurel pour cette magnifique bande dessinée et pour le temps que vous nous avez accordé afin d’en parler.

CET ENTRETIEN ET SA RETRANSCRIPTION ONT ÉTÉ RÉALISÉS DANS LE CADRE DU LIVE QUI S’EST TENU MERCREDI 13 SEPTEMBRE 2021 SUR LA PAGE INSTAGRAM DE YOANN DEBIAIS @LIVRESSEDESBULLES .
SI VOUS VOULEZ EN SAVOIR PLUS, N’HÉSITEZ PAS À REGARDER CI-CONTRE LE REPLAY DU LIVE.

 

Article posté le dimanche 14 novembre 2021 par Claire & Yoann

Live Instagram du 13 octobre 2021

Coming In de Élodie Font et Carole Maurel chez Payot Graphic et Arte éditions
  • Coming In
  • Scénariste : Élodie Font
  • Dessinatrice : Carole Maurel
  • Editeur : Payot Graphic, Arte éditions
  • Prix : 19,00 €
  • Parution : 29 septembre 2021
  • ISBN : 9782228929097

Résumé de l’éditeur : Le récit bouleversant et drôle de l’acceptation de son homosexualité par une jeune fille, de ses 15 ans à ses 30 ans, sous la forme d’un roman graphique poétique et sensible. «« Quand on évoque l’homosexualité, on pense souvent au « coming out », ce moment où l’on s’ouvre à nos proches de notre différence. Dans mon cas, le plus difficile a été de me le dire à moi-même, de faire le deuil de tout ce que j’avais projeté, de faire le deuil de mon hétérosexualité. »«D’oser, enfin, être celle que j’étais depuis toujours. De faire mon « coming in ». »» «Coming in» raconte une quête d’identité impérieuse, vitale : le déni de soi d’abord, la souffrance infinie qui en découle, jusqu’à la libération et la jouissance d’être soi-même, quand le moi social et le moi intime s’alignent, enfin.

À propos de l'auteur de cet article

Claire & Yoann

Claire Karius @fillefan2bd & Yoann Debiais @livressedesbulles , instagrameurs passionnés par le travail des auteurs et autrices de bandes dessinées, ont associé leurs forces et leurs compétences, pour vous livrer des entretiens où bonne humeur et sérieux seront les maîtres-mots.

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