Comixtrip continue ses entretiens avec de jeunes autrices et après Véro Cazot c’est au tour d’Alix Garin, pour son premier album « Ne M’oublie pas » sorti récemment aux éditions Le Lombard, de nous parler de son travail.
Pour commencer peux-tu te présenter Alix Garin ?
J’ai 23 ans, je viens de Liège en Belgique et j’habite à Bruxelles. Après des études générales et un bac général, j’ai fait trois années d’études de bande dessinée à Liège.
J’ai eu la chance de décrocher très vite un boulot à Bruxelles, comme illustratrice dans une agence de communication et en parallèle ça m’a permis d’entamer l’écriture de ce qui est maintenant “Ne m’oublie pas”.
Tu travailles toujours dans cette agence de communication ?
C’est génial d’avoir un boulot en tant qu’illustratrice, il y a le confort de la sécurité de l’emploi et financière ainsi que le plaisir de dessiner toute la journée.
Cela t’a laissé un peu de temps pour ta BD ?
Je travaille à temps plein donc je ne peux pas consacrer autant de temps que je voudrais à la bande dessinée, mais au final j’ai trouvé un équilibre en associant les deux et je vais continuer comme cela car j’y trouve mon compte.
Comment t’es arrivée cette vocation pour la bande dessinée?
J’ai commencé à dessiner avant de savoir écrire, c’était instinctif.
Un jour, une amie de ma mère m’a tracé un gaufrier en six cases et m’a dit que je pouvais raconter une histoire grâce à mes dessins. J’avais 5 ou 6 ans, ça a été la révélation, j’ai commencé à dessiner des petites bandes dessinées et je ne me suis jamais arrêtée.
Raconter des histoires me passionne et c’est vraiment ce sur quoi je veux me concentrer. C’était très tôt une vocation, j’ai toujours voulu être autrice de bandes dessinées. Mes parents m’ont soutenue et ne se sont jamais opposés à ça.
Tenir mon premier livre dans mes mains a été un moment émouvant, de le toucher, sentir l’odeur, voir mon nom écrit sur la couverture. C’était un rêve d’enfant.
Comment s’est passée ton arrivée dans le monde du travail ?
Je suis très pragmatique, j’avais un diplôme de bande dessinée, mais il fallait que je paie mon loyer et mes factures. Je voulais être autonome.
Je me suis inscrite en master de Motion design, mais je devais faire un stage avant la rentrée. J’ai postulé comme stagiaire dans l’entreprise, mes trois mois se sont très bien passés, j’ai appris sur le tas.
C’était le job de mes rêves, ils m’ont embauchée et je n’ai jamais fait ce Master.
Et celle dans le monde de la BD ?
C’est à ce moment de ma vie que j’ai commencé “Ne m’oublie pas”. Les deux se sont développés en parallèle.
J’ai signé presque au même moment le contrat avec mon employeur et celui avec Le Lombard.
Je suis passée du statut léger d’étudiante à celui de salariée en combinant mon boulot et la bande dessinée, 70 heures de travail par semaine.
Comment était cette période?
J’étais un peu paumée. C’était une période d’introspection, de remise en question de passage à l’âge adulte qui se ressent dans “Ne m’oublie pas”.
C’est un témoignage que je me laisse à moi-même quand je relirai cette bande dessinée dans trente ans.
Tu disais travailler 70 heures par semaine, comment se sent-on quand la bande dessinée est terminée ?
La mise en couleur me faisait un peu peur, ce n’est pas ma zone de confort, alors j’ai pris un mi-temps au boulot pour pouvoir le faire.
Donc les six derniers mois étaient plus relax. Puis j’ai travaillé sur un autre projet dont j’ai fait les illustrations (sorti le 17 février aux éditions Bayard) qui s’appelle “C’est comment la première fois ?” sur les questions, autour de plein de thèmes, que l’on se pose quand on est ado.
Quand j’ai eu tout fini en janvier, alors là j’ai découvert la vraie vie, rien à faire en rentrant du boulot. Je profite de cette vie affranchie de contraintes avant de me remettre à un autre projet.
Quelles sont tes inspirations ?
Pendant mes études d’art, j’ai beaucoup lu. J’aime beaucoup Cyril Pedrosa qui m’a beaucoup marquée, son œuvre est magnifique.
Une lecture qui m’a bouleversée, c’est Blast de Manu Larcenet en me disant qu’on peut aussi faire ça en bandes dessinées.
Les premières BD de Bastien Vivès sont vraiment super. Aude Picault, Sempé au moins une fois par jour.
Plus jeune, j’étais abonnée au journal de Spirou, je m’en suis inspirée d’où ce côté cartoon dans mon dessin. J’étais plus attirée par le dessin d’humour avant de découvrir le roman graphique et de m’y consacrer pleinement.
Aujourd’hui j’essaie de me tenir au courant des sorties de romans graphiques, principalement one shot.
Raconte-nous tes premiers pas dans le monde de la bande dessinée ?
C’est le festival Quai des Bulles qui m’a ouvert les premières portes de la bande dessinée, c’est le point de départ de ma carrière.
Tout a commencé là, grâce à un concours que j’ai remporté. Là-bas, il y avait des rencontres organisées entre professionnels de l’édition et jeunes auteurs. Cela m’a donné une grande bouffée de confiance en moi car j’arrivais au bout de mes études et je me posais beaucoup de questions sur ce que j’allais faire ensuite.
Mathias mon éditeur actuel a découvert mon travail grâce à ce concours. Il m’a contactée en me disant que si j’avais un projet, je ne devais pas hésiter à venir le montrer au Lombard. Et c’est ce que j’ai fait.
Tu as eu une chance incroyable, premier titre, grand éditeur !
J’ai eu beaucoup de chance, les étoiles se sont alignées au bon endroit et au bon moment.
Il faut foncer également, enfoncer les portes. Je n’ai aucun regret, il ne faut pas avoir peur de se prendre des murs, les gens se souviennent de vous après.
Parlons de “Ne m’oublie pas”.
C’est l’histoire de Clémence dont la grand-mère est atteinte de la maladie d’Alzheimer et qui va, sur un coup de tête, la kidnapper de la maison de retraite et l’emmener retrouver sa maison d’enfance. S’ensuit un road trip où elles vont apprendre à se reconnaître mutuellement, ce qui va permettre à Clémence de grandir.
La maladie est une toile de fond pour parler des relations entre trois générations de femmes.
Est-ce que c’est une fiction ?
Je me suis inspirée de ce que je ressentais sur le plan des émotions, mais tout le reste est fictionnel.
Pour le roadtrip, je me suis inspirée du film Thelma et Louise, que j’ai vu alors que j’écrivais. L’influence est incontestable même si je ne voulais pas faire un Thelma et Louise bis.
Pourquoi as-tu inclus de l’humour dans l’album ?
Pour moi c’était une évidence, d’abord parce que j’aime ça. À la base, je viens de la bande dessinée d’humour et dans la vraie vie, quand des patients sont atteints de démence ou d’Alzheimer, ça provoque des situations hyper drôles.
Cela fait partie de la réalité de la maladie et je ne pouvais pas le passer sous silence pour faire un truc triste.
Il y a un contraste entre les passages joyeux et les passages tristes, ce qui renforce la puissance de chaque séquence.
Jolie référence à
« La Grande Vague de Kanagawa »
estampe de Hokusai
As-tu reçu beaucoup de messages suite à la sortie de l’album ?
Oui et je ne m’y attendais pas spécialement donc cela m’a beaucoup touchée. Le récit résonne et c’est la principale force de la fiction pour que le plus grand nombre puisse s’identifier.
Je trouve cela magique, c’est ce que je recherche et voilà mon but : amener les gens à verbaliser.
Comment s’organise ton travail ?
Je travaille chez Cartoonbase de 9h à 18h et quand je réalisais l’album, je travaillais dessus de 20h à 23h, ainsi que le weekend.
Je travaille essentiellement en numérique sur le logiciel Photoshop avec une tablette graphique. Je griffonne sur papier le pré-découpage.
J’écris tout le scénario, je fais tout le découpage, puis tout l’encrage et enfin la couleur. J’aime bien découper chaque étape et je m’y consacre d’une traite.
J’aurai mis presque deux ans jour pour jour et il m’a fallu six mois pour chaque étape.
Est-ce que tu modifies des choses quand-même ?
Oui surtout entre le scénario et le découpage. En découpant il y a plein de choses qui ont changé ou que j’ai ajoutées. Même lors de l’encrage, des points avaient été laissés en suspens, il y avait des cases vides et un jour c’est le déclic.
Comment écris-tu le scénario ?
C’est une sorte de petite nouvelle, je ne fais pas de grandes descriptions, il y a des dialogues. Mais ça doit rester lisible et accessible pour l’éditeur et pour les intervenants autour de moi.
Qu’as-tu présenté à ton éditeur ?
C’est Mathias qui est venu vers moi, j’étais au tout début du projet, j’avais juste le pitch. Il a eu un coup de cœur sur cette base-là.
Ce n’était pas encore un dossier traditionnel.
Comment s’est passée la collaboration avec l’éditeur ?
Je ne savais pas à quoi m’attendre mais elle a été hyper fluide, très saine puisqu’on était sur la même longueur d’onde.
En tant qu’auteur, il faut savoir écouter les conseils qu’on nous donne parce que parfois on manque de recul pour trancher certaines questions.
Il faut aussi être sûr de ses idées et ne pas tout lâcher non plus. Tout s’est fait en bonne intelligence.
Qui a trouvé le titre ?
Au départ, j’avais en tête “Carte Postale”, mais mon éditeur a dit qu’on pouvait trouver mieux. J’ai pensé à “Ne m’oublie pas” car c’est aussi le nom qu’on donne au myosotis, la petite fleur présente dans le récit.
Pourquoi as-tu fait ce choix de ne travailler qu’en numérique ?
Le problème du travail en traditionnel est que, quand on “foire”, on doit tout recommencer. Ça rend extrêmement prudent et on n’ose rien tester, on n’est plus audacieux.
Travailler en numérique affranchit du risque d’échec et permet de tester des dizaines de choses, ça m’a permis de me libérer et de prendre énormément de plaisir.
Que peux-tu nous dire du choix de tes couleurs pastels ?
Le dessin est ma manière naturelle de dessiner, mais cette étape des couleurs a été la plus difficile. J’ai fait pas mal d’essais.
C’est le point dont on a beaucoup discuté avec Le Lombard.
Cette technique pastel aquarelle est très légère, très douce et comme mon trait est très fin, ces couleurs ne l’écrasent pas. La palette, elle, s’est faite au “pifomètre”.
À partir de quel âge conseilles-tu la lecture de ton album ?
Je dirais 15 ans mais j’ai des amis qui l’ont lu avec des enfants plus jeunes qui ont aimé. Il n’y a aucune scène déconseillée aux enfants, même s’ils ne saisissent pas toutes les nuances.
Avais-tu une idée pour la pagination ?
Alors ça, c’était vraiment difficile pour moi parce que c’était le premier album. Je n’avais aucune idée du nombre de pages que ça allait faire. On estimait avec mon éditeur que la fourchette serait entre 200 et 250.
À l’issue du découpage, on tombait dedans. Maintenant je saurais beaucoup mieux estimer le nombre de pages. Pour info, mon scénario faisait une trentaine de pages.
Est-ce que ton album va être traduit dans d’autres langues ?
Oui il va y avoir une sortie en néerlandais, l’autre langue de la Belgique.
Il sort courant mars et ce sera une toute petite édition parce que le marché est très restreint.
Le Lombard a traduit certaines planches en anglais, justement pour démarcher des éditeurs anglo-saxons, donc croisons les doigts.
Sais-tu à combien d’exemplaires a été tiré ton livre ?
15000 et à ce stade, c’est difficile d’avoir des chiffres de ventes mais par contre le distributeur est en rupture de stock.
Ça ne veut pas dire que les 15000 sont vendus, mais ce que le distributeur avait prévu au départ, est déjà écoulé. C’est plutôt bon signe et j’espère que ça va continuer comme cela.
Que penses-tu de tous ces retours positifs sur Instagram et pourquoi avoir choisi ce média pour communiquer ?
Ça fait très plaisir, c’est émouvant. J’ai même eu la pression avec ces premiers retours, je ne m’attendais pas à cela, un tel flot de louanges. J’ai eu peur et je me suis dit que j’allais décevoir les gens avec l’album suivant.
J’ai eu l’angoisse de la page blanche, même si aujourd’hui ça va mieux. La peur de ne pas faire un projet à la hauteur de “Ne m’oublie pas”.
Je pense que c’est le média où se trouve mon public, un lectorat relativement jeune.
C’est une page que j’ai créée quand j’étais étudiante, pour poster mes dessins. Il est vrai que je ne poste pas beaucoup, mais je n’ai pas le temps et l’énergie, alors qu’une story a un côté plus spontané et j’aime bien le faire.
Mon nombre d’abonnés a également explosé depuis janvier.
Appréhendes-tu les premières séances de dédicaces ?
Un petit peu, j’ai surtout hâte de rencontrer le public en vrai, de voir les gens, de pouvoir échanger avec eux de vive voix.
Quels sont tes projets ?
Pour l’instant je travaille sur une commande du magazine Phospore publié par Bayard afin de participer à un projet qui s’appelle “L’été de mes 18 ans” raconté par un auteur de bande dessinée. J’ai été très flattée qu’ils fassent appel à moi pour travailler à cet ouvrage collectif.
Je vais me remettre à l’écriture d’un nouveau roman graphique où je ferai tout moi même, scénario, dessin, couleur. Je ne préfère pas en parler car il n’y a aucune ligne écrite, rien n’est concrétisé. Ça parlera d’un papa. J’ai expliqué mes intentions au Lombard, donc ils attendent que j’aie écrit quelque chose.
As-tu envie de travailler avec quelqu’un d’autre ?
Pour l’instant je n’ai pas le temps et j’ai envie d’être autonome.
Mais à moyen terme, la porte reste ouverte, surtout écrire des scénarios pour les autres.
Si quelqu’un vient avec un merveilleux scénario, je ne pourrais pas refuser.
Pour clôturer cet entretien, aurais-tu un coup de cœur à nous présenter ?
Oui il s’agit de Pucelle de Florence Dupré la Tour, j’ai adoré. Graphiquement c’est super inventif et hyper expressif.
C’est l’histoire d’une petite fille, en partie autobiographique, qui découvre la sexualité en tant que petite fille alors qu’elle n’y a pas été préparée.
Une bande dessinée géniale, les dessins sont hilarants, il y a beaucoup de second degré.
Cet entretien et sa retranscription ont été réalisés en collaboration avec Claire @fillefan2bd dans le cadre du live qui s’est tenu le mercredi 17 février sur la page Instagram de Yoann @livressedesbulles .
Vous voulez en savoir plus, n’hésitez pas à regarder ci-contre le replay du live.
- Ne m’oublie pas
- Autrice : Alix Garin
- Editeur : Le Lombard
- Prix : 22,50 €
- Parution : 15 janvier 2021
- ISBN : 9782803676231
Résumé de l’éditeur : La grand-mère de Clémence souffre de la maladie d’Alzheimer. Face à son désespoir, elle prend la décision de l’enlever de la maison de retraite et de prendre la route en quête de l’hypothétique maison d’enfance de sa mamie. Une fuite, une quête, un égarement, l’occasion de se retrouver ? À moins que ce ne soit plutôt des adieux..
À propos de l'auteur de cet article
Claire & Yoann
Claire Karius @fillefan2bd & Yoann Debiais @livressedesbulles , instagrameurs passionnés par le travail des auteurs et autrices de bandes dessinées, ont associé leurs forces et leurs compétences, pour vous livrer des entretiens où bonne humeur et sérieux seront les maîtres-mots.
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