Les fonds de la Cité BD d’Angoulême

L’un des rôles majeurs de la Cité BD d’Angoulême est de conserver et valoriser les documents de ses réserves. Trois espaces sont nichés au coeur de l’établissement public : les périodiques et revues, les albums et les planches. Visite de ses greniers à trésor.

Des albums et des rêves par milliers

Picasso et la BD (Cité de la BD et de l'image Angoulême / Musée Picasso Paris / crédit Photo : Damien Canteau - Comixtrip)

 

Une cité au service de la bande dessinée

Au bord de la Charente, dans les anciens chais, se dresse le coeur de la Cité de la bande dessinée. A sa tête, Vincent Eches, qui veille sur un ensemble important consacré aux mondes du 9e art : musée, bibliothèque, librairie, vaisseau Moebius, maison des auteurs et cinéma.

Si les visiteurs connaissent bien le musée avec ses très belles expositions (De Popeye à Persépolis, Lewis Trondheim, Picasso et la BD, Goscinny et le cinéma, Hôtel étrange, Petit Poilu, Les enfants de la résistance) l’ancien bâtiment imaginé par Castro ou le cinéma, peu savent que la Cité BD possède des trésors souvent inestimables non loin de l’exposition permanente. Parmi ses lieux mystérieux, deux réserves conserves des pépites.

100 000 albums précieusement conservés

Pauline Petesch et Lisa Portejoie, bibliothécaire à la Cité de la BD d’Angoulême

Pour notre visite au cœur de la Cité, deux bibliothécaires sont nos guides : Pauline Petesch et Lisa Portejoie. Leur métier : réceptionner, cataloguer et archiver les albums et revues arrivant pour intégrer le fonds.

Curieuses et amatrices de bandes dessinées, elles exercent une veille sur les nouvelles sorties d’albums, font le lien avec les éditeurs ou les donateurs, établissent des listes d’achats et cataloguent les ouvrages.

Acheter des albums

Depuis le milieu des années 1970, des milliers de bandes dessinées ont été récoltées pour être archivées. Ainsi entre 1984 et 2015, la Cité de la BD d’Angoulême avait le sceau Dépôt légal. Pour chaque nouvel album, les maisons d’édition devaient en envoyer un exemplaire obligatoirement à l’établissement ainsi qu’à la Bibliothèque nationale de France. Depuis, seule cette dernière fait office de Dépôt légal. Il faut donc souligner que les rayonnages du fonds sont importantes de ce fait.

A partir de 2015, les bibliothécaires ont eu donc pour mission d’acheter des albums. Pauline et Lisa se concentrent surtout sur les albums édités par les éditeurs de la région Nouvelle-Aquitaine, les albums en sélection dans différents prix (dont ceux du festival d’Angoulême), mais également toute la production des artistes de la maison des auteurs et des ancien.nes autrices et auteurs en résidence, et effectuent un suivi particulier des petits éditeurs et tirages spéciaux. Ce travail imposant a une très grande importance pour le fonds de la Cité.

Des dons exceptionnels

Quelques maisons d’éditions continuent d’envoyer l’ensemble de leur production aux deux bibliothécaires pour être conservée. L’un de leur rôle est de tisser des liens avec ses structures éditoriales. Au total, plus de 100 000 albums sont conservés dans les entrailles de la Cité.

En plus de ces canaux (achats et dons des éditeurs), une partie importante de leurs archives provient de dons de particuliers. Régulièrement, des dons et des legs de personnes décédées sont proposés à la Cité. D’illustres noms ont cédé leurs archives. Ainsi, Jean-Pierre Dionnet, Thierry Groensteen ou Pierre Couperie ont donné des centaines de documents (albums, correspondances, travaux de recherches…). D’autres anonymes l’ont également fait. D’un album à une dizaine en passant par 30 000 par le legs de Joëlle Noir, la sœur de monsieur Bruchon, collectionneur passionné par le 9e art. Ce qui reste un record dans l’histoire de la bande dessinée. Avant d’intégrer les rayonnages, ces albums sont placés en quarantaine pour que le papier s’habitue à la température des chambres de conservation. Cela peut aussi permettre de détecter des champignons plus ou moins gênant pour le pages. Au moindre doute, un échantillon est envoyé au laboratoire de la BNF pour analyse. Les soins apportés à l’ouvrage en dépend.

Cataloguer les albums

Lorsqu’un album arrive dans les mains des deux bibliothécaires, elles doivent l’inventorier. Les critères sont précis allant du nom de l’autrice ou de l’auteur à la maison d’édition, l’année du dépôt légal, le résumé et d’où il provient (si c’est un don). Soit elles créent la notice de toute pièce soit elles importent les données de la BnF ou de la base Electre.

Pour ne pas altérer la qualité du papier, elles écrivent au crayon de bois le code barre (pas d’encre, pas de douchette), et utilisent du matériel neutre, notamment pour coller dans l’album.

Quant aux critères de conservation dans les réserves, elles correspondent à des normes précises pour la température, l’éclairage ou le taux d’hygrométrie.

Mieux, si l’album a été exposé plus de trois mois lors d’événement, il doit observer un repos de trois ans en réserve. Il ne peut plus être exposé avant cette mise « au noir ». Il est courant que des pièces soient interchangées lors d’exposition de plus de trois mois. Il faut parfois préparer deux expositions en une pour préserver les albums et les planches. Le tout est particulièrement noté avec minutie afin que l’ouvrage ne s’abîme pas à cause des lumières ou des conditions climatiques.

Numériser pour conserver

Si l’objectif de ce fonds est de conserver une trace des albums, le but d’un établissement public comme la Cité est de pouvoir montrer les ouvrages au plus grand nombre. Les expositions servent à cela mais il faut aussi que l’on puisse les consulter à distance par le portail internet.

Pour cela, un travail de numérisation a été entamé il y a plusieurs années. Les critères sont souvent logiques : les œuvres sont tombées dans le domaine public (par exemple, Bécassine en 2023) et leur état. Les pages se décollent, jaunissent ou tombent en petit morceau. Il est donc temps de les sauver ! Les conseillers scientifiques donnent leur aval et les albums sont envoyés à une entreprise spécialisée dans la numérisation.

Un centre de documentation à la pointe

Des centaines de documents sont ainsi disponibles pour tout à chacun grâce aux internets. Les collections numérisées peuvent aller des Pieds nickelés à Captain Marvel.

La cité BD s’est aussi dotée d’un centre de documentation. En plus des collections numérisées, il est possible (dans une juste mesure) de demander à distance des précisions sur un document, de le numériser partiellement… En s’y prenant à l’avance, la documentaliste peut répondre à des questionnements souvent précis.

Le centre de documentation accueille fréquemment des journalistes, des chercheurs, des étudiants de l’ESII ou des passionnés pour leurs diverses recherches. Un travail est d’ailleurs mis en place avec la Fanzinothèque de Poitiers concernant ces documents.

Vocation de démocratisation et de pédagogie

Un des cahiers d’Alain Saint-Ogan conservé à la Cité de la BD d’Angoulême

De nombreuses classes sont aussi venues visiter la Cité, le musée et les réserves. Des ateliers pédagogiques sont ainsi proposés par une médiatrice aux enseignants.

Les élèves peuvent ainsi entrer dans les rayonnages des archives et y découvrir des revues (150 000 fascicules provenant de 5 000 titres actuels ou disparus), mais également les 100 000 albums. Parmi ces ouvrages, de nombreuses pépites comme les 82 cahiers personnels d’Alain de Saint-Ogan dans lesquels ils archivait précautionneusement tous les articles concernant ses œuvres. Des cahiers uniques et inestimables.

Au gré des étagères se déplaçant sur des rails, on peut voir les 10 000 fascicules Marvel, donnés par une organisation non-gouvernementale américaine Gifts in Kind. Des épisodes de super-héros de la maison des idées arrivés directement des États-Unis par conteneur.

Mickey, mon très cher trésor

Journal de Mickey, conservé à la Cité de la BD d’Angoulême

 

En plus des cahiers de Saint-Ogan ou les fascicules Marvel, le fonds possède des trésors. Ainsi, conservé avec soin, Pauline et Lisa nous montrent des numéros importants du Journal de Mickey. Il y a là le numéro 0, sorte de publicité pour annoncer l’arrivée de cet hebdomadaire encore publié aujourd’hui. Depuis 1934, en France, toutes les semaines, il est distribué dans les kiosques. C’est d’ailleurs le plus ancien dans cette catégorie. Le n°1 et le n°296 sont là devant nos yeux. Mais pourquoi le 296 ? Tout simplement, le plus difficile à trouver. Il est daté du jour de l’invasion de Paris par les Allemands. Il ne fut que très peu distribué aux abonnés et autres librairies, d’où sa rareté.

Aux origines de Métal Hurlant

Le prototype du premier numéro de Métal Hurlant

L’histoire de la bande dessinée se dévoile devant nous. Ainsi, l’on voit la maquette du premier Métal Hurlant. Les équipes du journal créées par Jean-Pierre Dionnet, Bernard Farkas, Moebius et Philippe Druillet utilisent alors un numéro de Charlie Mensuel pour bien comprendre la pagination. Charlie Mensuel est donc le support de cette nouvelle revue qui bouleversa le monde du 9e art. Les pages de Métal sont collées sur celles de Charlie. Un objet unique !

Budo, premier sur le manga ?

Shumari ou le renard d’Hokkaido d’Osamu Tezuka

C’est au tour de Maël Rannou, responsable des bibliothèques de la Cité, de nous montrer d’autres pépites. Il va chercher dans les rayonnages de drôles de publications. Celle d’Osamu Tezuka, Shumari ou le renard d’Hokkaido. Reliure faite main, plusieurs mangas du maître sont devant nous. Les double-pages sont imprimées uniquement à droite, sur un papier léger. Le tout en un format paysage. Surprenant !

Quant aux deux versions de Chroniques de jeunesse de Guy Delisle, la première est française publiée par Delcourt (achetée par la Cité BD), la deuxième donnée par les éditions Pow Pow. Elles permettent ainsi de bien voir les différences de traduction d’un Québécois très chantant à un français plus conventionnel.

La revue Budo

Enfin, Maël nous montre un recueil de la revue de judo Budo. Pourquoi ? On feuillette et on découvre des planches de manga. Mais pourquoi ces planches de manga sont-elles importantes ? Tout simplement, parce qu’elles seraient, en fait, les premières planches de manga arrivées en France ! C’était en 1969. Pour l’instant, les historiens de la bande dessinée sont d’accord sur ce point jusqu’à une nouvelle découverte plus ancienne. Les histoires sont traduites comme l’amateur de ce genre le pouvait dans des phylactères approximatifs et très anguleux, les caractères mordant parfois sur les cadres. Le judo et le manga, une longue histoire…

Des planches par milliers

Première collection européenne

La Cité de la bande dessinée conserve des revues et des albums mais également des planches d’autrices et d’auteurs.

Anne-Hélène Hoog, directrice du musée de la bande dessinée,  nous présente une autre grande salle aux critères de conservation identiques à celles des revues et albums. Là, plus de rayonnages mais des meubles à grands tiroirs plats. A l’intérieur, 18 000 planches sont rangées avec minutie. Comme pour les albums, elles sont cataloguées et parfois numérisées pour la transmission.

C’est la première collection européenne de planches et la deuxième au monde après la Billy Ireland Cartoon Library & Museum, à Colombus dans l’Ohio.

Legs et dons, un travail important pour l’Histoire de la bande dessinée

 

Comme pour les revues et les albums, une des missions de la Cité est de conserver et de montrer au public ces planches originales.

Ces œuvres proviennent de legs après le décès des artistes. Ainsi, l’ensemble du travail d’Annie Goetzinger se retrouve dans ces meubles en fer.

Elles peuvent aussi être l’objet d’un don par les artistes. Ainsi, Edmond Baudoin donne tous les ans, l’ensemble de ses planches.

Elles peuvent également provenir de dépôt. Souvent par manque de place ou de difficultés de bien les conserver, les artistes mettent en dépôt leurs planches. C’est le cas de Frédéric Boilet ou Alberto Breccia.

Acheter des planches

Don de planches Couperie

Enfin, le musée peut acheter des planches en salle des ventes. S’il n’a pas de droit de préemption directement, il peut le demander si la pièce est importante pour l’Histoire de la bande dessinée. Il peut aussi être aidé par des fondations nationales ou régionales pour les acquérir. Il évite néanmoins d’acheter une planche seule mais plutôt une séquence de plusieurs pages afin de montrer correctement le travail des artistes.

Aujourd’hui, Anne-Hélène Hoog a des buts précis. Elle veut axer le travail du musée vers les créations contemporaines, s’intéresser à la bande dessinée numérique mais également aller vers la bande dessinée féminine.

La Cité BD d’Angoulême, par son musée, ses collections conservées, ses expositions ou sa maison des auteurs est une institution publique importante pour l’Histoire de la bande dessinée. Elle a pour but de montrer au public, de faire venir tous les publics dans ses murs, de faire le lien avec les journalistes, étudiants et chercheurs. Un travail indispensable pour le rayonnement de toutes les formes du 9e art.

Article publié en collaboration avec Ma Lo
Article posté le mercredi 18 janvier 2023 par Damien Canteau

À propos de l'auteur de cet article

Damien Canteau

Damien Canteau est passionné par la bande dessinée depuis une vingtaine d’années. Après avoir organisé des festivals, fondé des fanzines, écrit de nombreux articles, il est toujours à la recherche de petites merveilles qu’il prend plaisir à vous faire découvrir. Il est aussi membre de l'ACBD (Association des Critiques et journalistes de Bande Dessinée). Il est le rédacteur en chef du site Comixtrip.

En savoir