L’agence des invisibles, entretien avec Marc Lévy, Sylvain Runberg et Espé

À l’occasion de la sortie de L’agence des invisibles, une création originale éditée chez Philéas-Versilio, Marc Lévy, Sylvain Runberg et Espé ont bien voulu répondre à nos questions. Cet entretien a eu lieu le 15 septembre 2021 lors du live présenté par Yoann Debiais sur sa page Instagram, @livressedesbulles. Voici la retranscription de ces échanges.

En l’absence de Marc Lévy, nous avions débuté cet entretien avec Sylvain Runberg et Espé (Sébastien Portet).

Sylvain Runberg, peux-tu te présenter pour ceux qui ne te connaîtraient pas ?

Sylvain Runberg : Je suis né en Belgique, ma mère est Belge, mon père est Français et je suis de nationalité française. J’ai vécu en Provence et j’ai fait des études d’Histoire politique à l’université d’Aix en Provence. Dans les années 1990, j’ai travaillé dans une librairie spécialisée en bandes dessinées. Puis j’ai intégré l’édition à Paris chez Les Humanoïdes associés. J’ai commencé à écrire assez tard en 2004, j’avais déjà 33, 34 ans et depuis je suis devenu scénariste professionnel.

Peux-tu nous en dire plus sur ton parcours de scénariste ?

Sylvain Runberg : Je suis donc scénariste de bandes dessinées et scénariste en général depuis maintenant 17 ans. Mes premiers albums sont parus en 2004 et depuis j’en ai publié à peu près 100 avec des éditeurs très différents. À peu près tous les grands noms de la bande dessinée franco-belge Dargaud, Glénat, Futuropolis, Le Lombard, Delcourt, Soleil. Et puis maintenant Philéas. J’aime bien diversifier mes créations, j’écris aussi bien de la science fiction, que de la fantasy, du polar, de l’autobiographique ou de l’historique.

J’ai des goûts très variés et c’est ce qui m’intéresse dans le scénario en bande dessinée. On peut s’attaquer à des genres très différents sans que ca pose de problème au sein d’une carrière. On a cette liberté et j’en profite depuis plus de 15 ans.

 

Couverture Millenium saga - intégrale          Couverture Orbital tome 1 - scars - en anglais

         

Tes albums ne se limitent pas qu’à une publication en France ?

Sylvain Runberg : J’ai été traduit et publié dans 25 pays. L’international est quelque chose qui me tient à coeur, c’est important d’exporter la bande dessinée française. J’aime les comics américains ou les mangas asiatiques, c’est bien cet échange de culture. D’ailleurs, depuis une dizaine d’années, je vis entre la Suède et la France et je suis localisé plus régulièrement à Stockholm.

La BnF  indique à ton nom 127 ressources écrites sur 17 ans, ce qui représente plus de sept scénarios par an, comment fais-tu pour écrire autant ?

Sylvain Runberg : Je travaille bien en amont, j’ai plusieurs années de travail en avance. Quand je présente un dossier complet à un éditeur, j’ai trois ans d’avance sur les dessinateurs.  Mes plages de travail s’étalent sur  plusieurs années. En général, j’ai travaillé pendant deux, trois ans avant de commencer à présenter mon travail à des éditeurs.

Parfois je coscénarise également, on a tendance à aller plus vite. Comme pour L’agence des invisibles avec Marc et Espé . Être deux sur le scénario d’une bande dessinée, permet d’avancer plus vite. Mais il ne faut pas être plus nombreux.

Espé, à ton tour, peux-tu nous dire qui tu es ?

Espé : Moi c’est Espé, Sébastien Portet, je suis dessinateur de bandes dessinées. Mon pseudo ce sont mes initiales S et P. Ce n’est pas moi qui l’ai choisi, c’est un copain quand j’étais étudiant. Quand j’ai démarré chez Delcourt, ils voulaient que je change car ça faisait « service de presse ». Je l’ai gardé quand-même.

J’ai signé mon premier contrat en 2001 chez Delcourt, pour une série Le territoire en 6 tomes. Puis j’ai enchainé avec Le 3e œil toujours chez Delcourt. J’ai adapté un roman de Marc Lévy Sept jours pour une éterni avec Corbeyran au scénario. Je travaille beaucoup avec lui, c’est mon scénariste attitré dans la bande dessinée. Et bien évidemment il y a Châteaux Bordeaux, ma grosse série chez Glénat, en onze tomes et deux spin off, qui a dépassé les 500 000 exemplaires.

          Couverture Châteaux Bordeaux tome 1

Couverture le 3ème oeil tome 1 - arnaud          Couverture L'île des justes - Corse été 42

 

Mais tu as également travaillé sur des projets plus personnels.

Espé : Oui, avec Stéphane Piatzszek chez Glénat, L’île des justes puis la série Une famille en guerre.
Ensuite j’ai travaillé sur un projet où j’ai fait le scénario, le dessin et les couleurs, Le perroquet chez Glénat en 2017. Il a été traduit pour le marché américain, il n’y a pas longtemps. Il y a eu également Le col de Py, là encore un projet perso, chez Grand Angle.

Couverture Le col de Py - Histoire de vies...          Couverture Le perroquet

Pouvez-vous nous expliquer comment vous vous êtes rencontrés ?

Sylvain Runberg : Avec Espé on s’est rencontré au festival Cabaret Vert à Charleville-Mézières en 2018. On a commencé à discuter et on s’est trouvé une passion commune pour le vélo. Puis on a décidé de rester en contact pour d’éventuels projets futurs. Espé qui connait Marc Lévy m’a demandé si cela m’intéressait de le rencontrer.

Chaque année je vais à New York pour le Comicom. Marc y habite, on s’est rencontrés là bas pour la première fois en 2018. On a discuté plusieurs heures dans un café de West Village et on s’est trouvé plein de points d’affinités. C’est ainsi que tous les trois, on a commencé à parler d’éventuels futurs projets. L’agence des invisibles est née ainsi

Quand avez-vous commencé à travailler L’agence des invisibles ?

Sylvain Runberg : À la base c’est un projet de série télé que Marc développait. Il s’appelait L’agence POP, Prisoners of the past. Plutôt qu’une adaptation d’un de ses romans, Marc, grand lecteur de bandes dessinées, nous a proposé une création originale. Il nous a fait lire son dossier pour voir ce qu’on en pensait. Tous les éléments étaient la pour constituer la base d’une série, le nombre de personnages, des enquêtes différentes. Avec ce matériel, on a commencé à écrire le scénario de L’agence des invisibles.

Marc Lévy rejoint à ce moment le live.

Comment s’est déroulée votre collaboration ?

Sylvain Runberg : On a vraiment bien accroché tous les trois dès le départ. On a des idées qui se rejoignent même si on vient d’univers différents, c’est ce qui fait la richesse de ce projet. Une enquête en Angleterre dans un univers contemporain, une agence basée à New York et une équipe spécialisée dans la recherche de personnes disparues dans des conflits passées. C’est le type de récit que je n’aurais pas écrit seul. Mais j’aime aborder des genres différents comme ce thriller sur des bases historiques.

Marc, comment s’est passé cette collaboration puisque c’est la première fois que tu passes du roman à la bande dessinée ?

Marc Lévy  : De mon côté, tout s’est vraiment bien passé, le processus de travail était hyper fluide. L’idée originale était Prisonniers du passé. On a échangé et j’ai eu la chance d’être très bien encadré par deux grands professionnels de la bande dessinée. Alors, on a travaillé sur l’histoire et les dialogues en échangeant avec beaucoup de joie et beaucoup de plaisir. C’est passionnant, quand on développe une histoire, d’avoir plusieurs regards pour en débattre ou créer des dynamiques de rebond.

Pourquoi ce choix de quatorze personnages au sein de cette agence ?

Espé : Ça fait du monde à dessiner !

Sylvain Runberg : Cette agence regroupe plein de compétences avec des gens qui viennent d’horizons variés. Le premier tome se focalise sur les quelques personnages principaux qui tirent l’histoire vers l’avant. Il y a matière à développer et à tirer tous les fils d’un univers avec les personnalités présentes à l’agence ou sur le terrain. On peut envisager du long terme.

Actuellement, on est en train d’attaquer le deuxième album et il y a de quoi faire une longue série.

Que trouve-t-on dans ce premier tome de L’agence des invisibles ?

Marc Lévy : Il y a à la fois cette première aventure qui se déroule mais on trouve également les graines de tous les mystères qui se révéleront au fur et à mesure. Qui est cette femme qui a crée cette agence et pourquoi ? Quel est le lien entre les deux hommes les plus âgés et celui qu’ils entretenaient avec elle dans leur jeunesse ? Comment et pourquoi cette femme a-t-elle elle-même disparu?

Tous les jeunes personnages de cette agence sont porteurs d’un passé qui les relie les uns aux autres sans qu’ils le sachent. Cette histoire est comme une partie d’échecs qui se déroule dans l’espace et dans le temps. C’est un pari de tous les faire exister dans un album et de pouvoir développer l’histoire sur huit, dix ou douze albums.

Quelle est l’origine ce ce projet ?

Marc Lévy : Je menais une enquête pour écrire Les enfants de la liberté. Je suis parti à la rencontre des survivants de cette époque, ceux de la prison St Michel, mais aussi les ceux du « train fantôme ». Le premier obstacle auquel j’ai été confronté, a été de rétablir la chronologie des actions. Quand j’ai interrogé les témoins, j’ai pris conscience qu’à chaque fois, il y avait trois histoires. La leur, celle de ceux qui ont vécu au même moment et la vraie histoire. Ce qui est compliqué, c’est de réunir les trois histoires. Chaque personne, victime, acteur ou témoin a sa propre histoire. Il n’y en a pas qu’une seule.

De plus, je me suis rendu compte que certains personnages avaient vraiment disparu, sans qu’on puisse pour autant les déclarer morts. J’ai compris que, pendant cette période particulière, des héros n’avaient pas été reconnus en tant que tels et des salauds avaient réussi à se faire passer pour des héros. Des personnes se sont également servies de cette période trouble pour disparaître et se reconstruire une identité complète. Faire peau neuve, Voilà comment m’est venue l’idée de la série.

N’est-ce pas trop difficile d’animer autant de personnages dans une bande dessinée ?

Espé : J’ai fait pas mal de recherches. On a beaucoup échangé et discuté sur  leur apparence physique mais aussi sur les caractéristiques propres à chacun. C’est un projet que je peux réaliser maintenant mais que je n’aurais pas pu faire il y a 15 ans. Je me suis senti bien avec l’univers crée par Sylvain et Marc. Il y a les personnages mais il y a également les lieux. C’est tellement riche, on avait tous envie de s’investir à fond.

Quand on a les personnages, une grosse partie du travail est faite. Il faut faire en sorte que les lecteurs les reconnaissent, qu’ils aient chacun leur personnalité, leur identité. Graphiquement, j’ai adopté un style semi-réaliste un peu comics, avec un encrage un peu plus marqué que sur d’autres série. Il me semble que ca marche bien pour ce genre de projet.

Donc systématiquement tu travailles le graphisme en fonction du projet que tu as ?

Espé : Je suis comme Sylvain et Marc, j’ai besoin de changer de sujets et d’univers, de chercher des choses, de fouiller le graphisme des personnages et de m’adapter à l’univers de la série ou du one shot.

Sylvain Runberg : En tant que scénariste, quand on crée un personnage, on s’attache à l’aspect psychologique. Mais j’aime bien laisser le dessinateur avoir son interprétation et être surpris quand on découvre les premières recherches. C’est pour cela que je donne le moins  d’indications physiques possibles sauf si c’est nécessaire à l’histoire.

Il y a une particularité physique sur au moins l’un des personnages ?

Marc Lévy : Cela fait partie intégrante de ce qu’elle est, de sa vie. Donc ça, c’était clairement posé. Mais je ne vais pas spoiler.

Espé : Parfois ça arrive que je passe carrément à côté du personnage. D’où l’intérêt de faire des recherches, de pouvoir échange et de savoir si on ne part pas dans la mauvaise direction. À chaque fois, on s’est naturellement adaptés aux besoins de l’histoire.

Sylvain Runberg : Si on a pu faire une histoire complète avec autant de personnages et d’éléments dans le récit, c’est parce qu’on avait demandé à Philéas d’avoir 80 pages. Une pagination supérieure à l’album classique de 48 ou 54 pages. Ces formats sont trop étroits, quand on veut une narration moderne et montrer des silences.

Espé : Nos pages sont punchy, ça va vite, elles montrent beaucoup de choses. C’est agréable à lire parce que rapidement on entre dans le vif du sujet.

Parmi tous ces personnages, lequel est votre préféré ?

Sylvain Runberg : Moi j’aime bien Emily.

L'agence des invisibles de Marc Lévy, Sylvain Runberg er Espé chez Philéas Versilio

Espé : Moi j’aime bien Kuma, j’aime bien le dessiner, je ne sais pas pourquoi, mais c’est comme ça.

L'agence des invisibles de Marc Lévy, Sylvain Runberg er Espé chez Philéas Versilio

Marc Lévy : Je ne suis pas aussi courageux que mes deux copains, je ne veux me fâcher avec aucun d’entre eux, je les aime tous. Depuis qu’on travaille sur ce projet, j’ai imaginé leur vrai passé à tous. Dont certains éléments que je n’ai pas encore eu le temps de partager avec mes camarades. D’ailleurs, ils ne seront peut-être pas d’accord. Je suis attaché à certains pour leurs failles. Un personnage a une faille physique apparente et ce qui m’ intéresse, c’est pourquoi cette faille est entrée dans sa vie. Qu’était-elle à ce moment là et qu’est-elle devenue depuis ? Ce personnage m’intéresse et le lien avec le tome 2 sera très important, ce sera une épreuve hallucinante pour elle.

Marc comment pourrais-tu résumer cet album ?

Marc Lévy : Pendant des conflits armés, des personnes disparaissent, non pas parce qu’elles sont mortes, mais elles disparaissent sans laisser de traces. Ces disparitions ont des conséquences pour les familles, qui peuvent durer sur plusieurs générations. Quand un deuil ne peut pas être fait, il ne s’arrête pas à la première génération.

Une agence privée d’enquêteurs pluridisciplinaires, historiens, scientifiques, anciens policiers, se voit confier des missions rémunérées pour aller chercher la trace de ces personnes disparues et le contexte de leur disparition.

Ils sont amenés à faire des révélations auxquelles les familles ne s’attendent pas. Des gens ont pu profiter d’un conflit pour se refaire une identité.

Quels sont les conflits potentiels pour les prochains albums ?

Marc Lévy : Avec ce projet, on peut se retrouver pendant la Guerre de Cent Ans. On n’a aucune contrainte. Avec une dispute ancestrale sur la propriété d’une terre, on pourra remonter 500, 600 ans en arrière pour aller chercher la vérité. La série ne va pas tourner autour de la Première ou de la Seconde guerre mondiale. Ça c’est fait. Ce qui nous passionne, c’est de changer à chaque fois d’univers, de décors, de pays.

Sylvain Runberg : Les horreurs de la guerre, on les retrouve dans chaque pays, à des degrés divers. Les origines des conflits ouvrent de vastes possibilités scénaristiques et permettent de renouveler le type de récit, d’enquête et de personnage.

Espé : C’est également une richesse graphiquement  que de pouvoir changer d’univers et d’époque. L’idée de cette série, c’est de voyager avec les personnages dans des lieux et des époques différents. Le graphisme évoluera en fonction de l’enquête.

Comment effectues-tu tes recherches graphiques ?

Espé : Avec la Covid, ça n’a pas été facile de bouger. Mais il y a internet avec Google Earth. J’ai essayé de voyager avec les outils numériques pour trouver un maximum de photos. J’ai retravaillé tout cela pour recréer Knighton et les environs de la ville dont l’atmosphère est très différente des rues de New York qu’on connaît par coeur.

Sylvain Runberg : C’est tout l’intérêt qu’offre internet. Marc comme moi connaissons bien l’Angleterre. Quand Sébastien nous proposait des pages, il tapait juste. Il mettait en image des lieux qu’on connaissait pour y être allés nous-même.

À cet instant, pour des impératifs professionnels, Marc Lévy doit quitter l’entretien.

Quel est le rythme prévu pour les sorties des prochains tomes ?

Espé : Un tome par an à peu près, il faut qu’on avance sur le scénario du tome 2. J’attaque les premières pages. On verra en fonction de ce que j’ai à dessiner. Il y a le temps sur le papier et le temps de création. C’est difficile de se projeter tant que je ne sais pas où je vais aller, où je vais placer les personnages.

Est-ce que chaque personnage ressemble à son caractère ?

Espé : Non pas forcément. Les caractères sont définis dans le tome 1 mais vont évoluer. Le lecteur va découvrir au fur et à mesure le vrai caractère, le vrai visage de certains personnages. Ce n’est pas aussi calé que cela.

Espé, n’as-tu pas été effrayé quand on t’a annoncé qu’il y aurait quatorze personnages dans L’agence des invisibles ?

Espé : Non pas du tout. Au départ, il y en avait même encore plus dans les recherches de Marc. On en a enlevé certains. C’est vrai que le tome 1 présente l’agence et tous les personnages. Quand ils partent enquêter sur le terrain en Angleterre, ils sont quatre ou cinq au maximum. Certains sont vus par intermittence.
Je les ai tous travaillés au départ. Là ça a été long mais c’est un travail que j’aime bien. C’est un projet très costaud. Mais maintenant,  j’ai la maturité graphique pour le faire.  Je suis à l’aise avec ce genre d’univers et je connais bien l’univers des séries.

Y a-t-il un lieu ou vous aimeriez aller avec cette série ?

Espé : Là je sais à peu près où on va aller avec la deuxième enquête, je suis donc en train de me projeter pour savoir comment je vais dessiner ça. J’ai des interrogations graphiques. J’ai envie de tout dessiner, en fonction des ambiances.

Et toi Sylvain, quel endroit aimerais-tu voir en image ?

Sylvain Runberg : Le premier endroit qui me vient à l’esprit est celui où j’habite. Une représentation de Stockholm serait vraiment admirable. Il y a plein d’endroits que j’ai visités de par le monde, New York mais on l’a déjà vu, Tokyo. Si Espé la représente, ce sera éblouissant. Je réfléchis plus en termes de grands ensembles urbains. Sinon, il y a l’endroit d’où je viens, la Provence qui pourrait être très motivante graphiquement parce que c’est magnifique.

D’habitude, quand j’écris seul des scénarios contemporains, je les place toujours dans des endroits où je suis allé physiquement. Ça me pose moins de problème avec l’imaginaire, quand c’est dans le passé ou dans le futur.

Pourquoi alors le choix de Knighton en Angleterre, cette toute petite ville ?

Sylvain Runberg : Quand j’étais collégien, j’ai fait des échanges linguistiques, donc je connais bien l’ambiance. Il y a plein de petites villes anglaises qui ressemblent à ça. Quand j’imaginais le scénario, j’y étais parce que je l’ai vécu.

Comment s’est déroulé le travail sur la couverture ?

Sylvain Runberg : C’est un travail important puisque c’est ce qui fait ouvrir un livre en librairie.

Espé : Il y en a eu tellement que je ne sais même plus. 25 ou 30, j’aime bien proposer des choses en discuter, on avance, on modifie. Ca fait partie du travail d’auteur.

Sylvain Runberg : Il y a eu des rejets mais je n’ai pas l’impression que ça ait été si difficile que ca. Il y a des couv qui sont très pénibles à obtenir. C’est une synthèse des éléments les plus forts du récit. Il faut en montrer suffisamment pour donner envie, sans rien dévoiler d’essentiel. C’est la difficulté de l’exercice.

La couverture de L’agence des invisibles a des contours granuleux, c’est inhabituel, pourquoi cet aspect ?

Espé : On voulait un bel objet et c’est un bel objet. Quand on l’a en mains, c’est particulier, ça donne beaucoup d’attrait au livre. Il y a un mélange de mat et de vernis. C’est notre directeur éditorial Eric Dérian qui a eu cette idée.

Espé, pour tes dessins, quelle technique utilises-tu ?

Espé : Je travaille sur papier et sur tablette graphique, je bidouille. J’ai une règle, j’encre sur papier. Je fais mes crayonnés numériques assez détaillés à la Cintiq et après je les imprime sur un papier format A3 bleu. J’encre alors en noir sur ce papier. Je scanne, je fais des montages. Ensuite j’ai un fichier que j’envoie aux auteurs et on en discute. Puis je fais des modifications quand c’est nécessaire.

Comment avez-vous fait pour la partie couleur ?

Sylvain Runberg : Degreff, notre coloriste a fait un excellent travail. Il s’est parfaitement adapté à ce qu’on voulait.

Espé : C’est très lisible, il y a des jeux de lumière. Un côté comics que j’adore. Pas de surabondance, d’effets Photoshop, les ambiances sont structurées et dynamiques. De plus, il a fait ça dans des délais assez courts, puisque 80 pages à réaliser à la couleur, c’est un énorme travail. On a tous eu des délais assez courts.

Espé, à quel moment as-tu commencé à dessiner ?

Espé : J’avais la trame générale, puis j’ai eu un découpage par séquences de 20 pages. On a avancé comme ça, mais je savais où on allait.

 Comment se sont déroulés les allers-retours entre vous ?

Sylvain Runberg : Le plus important au départ, c’est le storyboard. Comme ça, s’il y a des changements, on évite de demander au dessinateur de redessiner les planches finalisées. C’est le pire que tu puisses demander à un dessinateur.

Espé : Quand on était ok, je partais sur des pages. On a juste modifié des petites choses par ci, par là. D’un projet à l’autre, on ne travaille pas de la même façon. Quand j’ai travaillé sur Le perroquet ou sur Le col de Py, ce n’était pas du tout la même chose que pour L’agence des invisibles. Ce n’est pas du tout le même temps de réalisation, quand on est quatre ou quand on est seul.

Espé, comment passes-tu d’un scénario à un autre ?

Espé : Ça ne me pose pas de soucis de travailler sur plusieurs projets en parallèle. Je passe d’une page d’un album à une autre, je fais des dessins de presse. Je peux m’arrêter, passer à autre chose, j’ai la chance de pouvoir faire plein de choses en même temps. Par contre parfois, je suis débordé. Mais je ne m’ennuie pas, j’ai toujours un milliard de choses à faire.

Et pour toi Sylvain, comment se passe le changement de dessinateur ?

Sylvain Runberg : Ma manière de travailler ne change pas fondamentalement. Les dessinateurs ont une manière de s’approprier mes scénarios qui est différente selon les personnes. Je propose un synopsis dans lequel le dessinateur va savoir quels sont les grands éléments de l’histoire. La personne doit savoir exactement où on va, même si ce ne sont pas les planches définitives de l’album, que je propose.

Ensuite, je travaille sur un séquencier, qui est la colonne vertébrale de l’album. Là, on peut se mettre d’accord sur le nombre de pages et on adapte. Puis, je fais un découpage dialogué, page par page, case par case. Je n’ai aucun soucis avec le nombre de cases si le dessinateur veut en changer. Le dessinateur est le metteur en scène de l’album, il peut adapter et modifier ce que j’écris.

À chaque fois ce sont des rencontres humaines et c’est important que le dessinateur puisse se retrouver dans le récit et dans le projet. Il y a des dessinateurs, avec qui j’ai travaillé, que je n’ai jamais rencontrés. Cela n’empêche pas la collaboration de bien se passer. Le plus important est d’avoir une osmose créative et professionnelle. Avec Espé, c’est différent, on est copains.

Actuellement, avec votre expérience, est-ce plus facile de monter des projets ?

Espé : Je ne saurais pas te répondre, ce n’est pas une question de facilité. C’est une question d’envie. Après les choses se font ou ne se font pas, c’est très particuliers le monde de l’édition. Il faut être là au bon moment. Le tome 1 de Châteaux Bordeaux est l’album que j’ai réalisé le plus rapidement dans ma vie et c’est celui qui a le mieux marché. On se projette sur des succès et souvent ça ne se passe pas, comme on l’avait prévu.

Sylvain Runberg : Avec la carrière qu’on a, il y a des éditeurs qui aiment bien travailler avec nous et qui sont attentifs à ce qu’on leur propose. Quand on envoie un projet, on sait qu’il sera lu. Mais pas forcement qu’il sera signé. En tant que scénariste, chaque nouveau scénario est un challenge.

Espé : En tant que dessinateur, c’est pareil pour moi.

Sylvain Runberg : De mémoire, je n’ai pas eu de refus, mais on ne sait pas. Les carrières peuvent très vite changer, il suffit qu’un bouquin ne se vende pas. Étant donnée ma carrière, je pense quand-même que dans deux ans je serai toujours scénariste professionnel. Mais dans cinq ans, je n’en sais rien du tout.

Quels sont vos prochains projets ?

Espé : Pour moi, c’est la sortie de L’agence des invisibles demain matin ! (c’était le jour de sortie de l’album).

Sylvain Runberg : Pour moi également, avec en plus Gataca et Les dominants tome 3 ( Les trois albums sont sortis en même temps).

Couverture Gataca          Couverture Les dominants tome 3

 

Je vais attaquer Atome K, le troisième roman de Franck Thilliez et la suite d’Orbital. J’ai aussi l’adaptation du roman de Liu Cixin pour l’année prochaine. Une nouvelle série qui s’appellera Les griffes du Gévaudan, un thriller historique avec une nouvelle approche de la bête du Gévaudan. Et enfin,  le Wonder Woman avec Miki Montlló.

Espé : En ce moment, je suis sur le tome 12 de Châteaux Bordeaux, le dernier de la série. Puis le tome 2 de L’agence des invisibles. La suite de Une famille en guerre, j’ai deux tomes à faire. Mes gags chez Fluide Glacial sont en train de se transformer en album. Et chez Grand Angle, j’ai prévu un one shot qui s’appellera Le gigot du dimanche. J’ai du boulot. D’ici deux ou trois ans je serai toujours dessinateur de bandes dessinées, désolé pour ceux qui n’aiment pas mon travail !

Couverture Une famille en guerre tome 1

Sylvain Runberg : J’ai oublié la suite de Watchdogs legion chez Ubisoft et Glénat.

 

Couverture Watch dogs legion tome 1

Pour terminer, pouvez-vous me dire quel a été votre dernier coup de coeur graphique ?

Sylvain : C’est un auteur de comics qui s’appelle Jorge Jiménez, il travaille pour DC, ce qu’il fait est absolument magnifique.

Espé : Là comme ça, mon dernier coup de cœur. Il y a plein de trucs différents. Dans le réalisme, je prends une claque à chaque fois avec les bandes dessinées de Boucq. J’aime beaucoup l’humour de Bouzard, j’adore ce qu’il fait et ca me fait pouffer de rire comme un débile. J’aime le grand public, le underground, des choses complètement différentes. Allez le Western de Bouzard !

CET ENTRETIEN ET SA RETRANSCRIPTION ONT ÉTÉ RÉALISÉS DANS LE CADRE DU LIVE QUI S’EST TENU MERCREDI 15 SEPTEMBRE 2021 SUR LA PAGE INSTAGRAM DE YOANN DEBIAIS @LIVRESSEDESBULLES .
SI VOUS VOULEZ EN SAVOIR PLUS, N’HÉSITEZ PAS À REGARDER CI-CONTRE LE REPLAY DU LIVE.
Article posté le mardi 05 octobre 2021 par Claire & Yoann

L'agence des invisibles de Marc Lévy, Sylvain Runberg er Espé chez Philéas Versilio
  • L’agence des invisibles, tome 1 : Friedrich Müller
  • Scénaristes : Marc Lévy et Sylvain Runberg
  • Dessinateur : Espé
  • Coloriste : Degreff
  • Editeur : Phileas
  • Prix : 15,90 €
  • Parution : 16 septembre 2021
  • ISBN : 9782491467203

Résumé de l’éditeur : L’Agence des Invisibles, menée par Norman Cooper et son ami Kuma Takara, retrouve la trace de personnes disparues au cours des grands conflits, depuis la Seconde Guerre mondiale jusqu’à nos jours, et reconstitue le déroulement des derniers jours de leur vie ainsi que les circonstances de leur disparition. Comment ne pas vouloir découvrir l’histoire d’un parent proche, quelle famille peut prétendre ne pas connaitre de zones d’ombre, ne pas avoir de secrets ou d’arrangements avec la vérité ? Qui peut être certain de connaitre vraiment l’histoire des siens ? Julia Müller débarque à New York pour savoir ce qui est arrivé à son père, Friedrich Müller, navigateur dans la Luftwaffe disparu avec son bombardier en 1941. L’Agence des Invisibles est réputée comme la meilleure quand il s’agit de retrouver des personnes disparues.

À propos de l'auteur de cet article

Claire & Yoann

Claire Karius @fillefan2bd & Yoann Debiais @livressedesbulles , instagrameurs passionnés par le travail des auteurs et autrices de bandes dessinées, ont associé leurs forces et leurs compétences, pour vous livrer des entretiens où bonne humeur et sérieux seront les maîtres-mots.

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