Taiyou Matsumoto, l’enfance comme une évidence

Amer Béton, Sunny et Le rêve de mon père sont l’œuvre d’un seul mangaka : Taiyou Matsumoto. Grâce à son style graphique immédiatement reconnaissable, il délivre des histoires fortes sociologiquement où il met en scène des héros enfants et adolescents. Rendez-vous au Musée d’Angoulême pour une très jolie rétrospective.

L’enfance au cœur de son œuvre

Avec délicatesse, entrez dans cette exposition. Vous pensiez observer de la douceur, vous risqueriez de vous prendre un bel uppercut ! L’œuvre de Taiyou Matsumoto procure ce genre de sensation. Sociologiquement ancrée dans le monde et d’une justesse infinie, elle vous cueille d’un rien.

A sept ans, le jeune Matsumoto est abandonné par sa mère dans un foyer. Il y restera six ans, le temps de grandir plus vite qu’un enfant de son âge. De cette expérience, il en a tiré sa merveilleuse série Sunny. Sans être vraiment autobiographique, il prend des bribes de ci, de là de ses rencontres et de situations pas toujours simples.

Le point commun de ses mangas : l’enfance. Elle traverse son œuvre, entre candeur et colère. Car oui, il y a de la colère dans Sunny, Amer béton ou Le rêve de mon père. Un colère froide et sourde pour dénoncer les affres de cette enfance loin d’un cocon douillet.

S’exprimer comme un enfant

Approchez-vous, laissez-vous happer par les magnifiques planches et illustrations. Même s’il n’hésite pas à changer de style graphique dans une planche, une séquence, d’une case à l’autre ou à l’intérieur d’une case, vous serez définitivement convaincu. Regardez la beauté de certaines de ses couvertures et des ses affiches grand format. En couleurs, ça en jette ! Prenez le temps d’observer cette planche de Ping-Pong où le mouvement d’un joueur en extension est spectaculaire.

Pas simple de faire ressentir les émotions d’un enfant en dessin. Pour cela, Matsumoto se met à sa hauteur et le fait s’exprimer avec justesse. Si certains ont du mal avec le langage – comme Blanko dans Amer Béton – c’est fait sciemment pour dénoncer les conventions sociales. Cette mauvaise maîtrise et cette ignorance des référents langagiers sont volontaires chez le mangaka. Cela lui permet de protéger ses personnages du monde des adultes. Il décline aussi les croyances enfantines. Pour lui, grandir est souvent synonyme de souffrance et de perte.

Enoshima, paisible péninsule

Depuis quelques années, Matsumoto s’est retiré dans la péninsule de Enoshima au Sud de Tokyo. L’auteur né en 1997, peut ainsi travailler au calme ses nouveaux récit.

Récompensé d’un Eisner Award en 2008 pour Amer Béton et du Prix culturel Osamu Tezuka pour Le samouraï de bambou en 2011, l’auteur du Rêve de mon père aime aussi parler de la fuite du temps dans ses albums. Cette notion de cycle, il aime la décliner autour du temps qui passe ou de l’histoire qui se répète.

Enfin, si vous ne l’avez pas aperçu en entrant sur votre gauche, approchez-vous de la sublime illustration de Sunny, celle avec la vieille Nissan jaune, celle qui vous fera tomber en amour pour Taiyou Matsumoto.

Article posté le jeudi 24 janvier 2019 par Damien Canteau

Dessiner l'enfance - Retrospective Taiyo Matsumoto

Communiqué du festival :

Auteur de mangas depuis 30 ans, Taiyo Matsumoto se voit consacrer pour la première fois en France une rétrospective exceptionnelle, avec près de 200 œuvres originales présentées à Angoulême…

Dans le monde du manga, le style de Matsumoto est unique et immédiatement reconnaissable. L’essence fragile et pourtant nerveuse de ses courbes, la vitalité frénétique et l’immobilisme magique de ses pages se renouvellent à chacune de ses œuvres, même si le trait change beaucoup d’une série à l’autre. Les influences de cet auteur né en 1967 sont nombreuses, et toutes se fondent avec cohérence : l’esthétique du défunt Métal Hurlant avec les déformations optiques de la photographie ; la création vestimentaire avec le design publicitaire ; la typographie avec la calligraphie traditionnelle ; et bien évidemment les codes du manga avec ceux de la franco-belge, dont Matsumoto dit qu’elle a « révolutionné sa conception du medium » lorsqu’il la découverte il y a trente ans, lors d’un premier voyage en Europe pour suivre le Paris Dakar. Porté autant par le lyrisme de la peinture symboliste ou surréaliste que par la violence urbaine la plus crue, Taiyo Matsumoto utilise le manga comme un formidable laboratoire, où il met à l’essai ses envies de dessin.

Ce qui étonne, le long de cette carrière au dessin en perpétuel mouvement, c’est la constance, l’omniprésence même, d’un motif autour de laquelle tourne l’écriture, de manière obsessionnelle : le monde de l’enfance bafouée. D’Amer Béton (Delcourt) à Sunny (Kana), ce sont toujours des enfants abandonnés, livrés à eux mêmes, qui sont les héros de ces aventures tantôt réaliste,tantôt fantasmagoriques, mais toujours ourlées d’une violence sourde. Dans Sunny, son avant-dernière oeuvre, il confessait l’origine de cette obsession dans un récit semi-autobiographique et doux-amer qui revenait sur sa jeunesse dans un orphelinat. Ce qui explique, évidemment, pourquoi le monde chez Taiyo Matsumoto se livre toujours comme un environnement où seules l’innocence et cette amitié fusionnelle inhérente à l’enfance permettent de négocier avec l’absurdité et l’individualisme de la société des adultes.

Renseignements complémentaires

Dessiner l’enfance – Retrospective Taiyo Matsumoto

Square Girard II, Rue Corneille, 16000 Angoulême

du 24 au 27 janvier 2019

À propos de l'auteur de cet article

Damien Canteau

Damien Canteau est passionné par la bande dessinée depuis une vingtaine d’années. Après avoir organisé des festivals, fondé des fanzines, écrit de nombreux articles, il est toujours à la recherche de petites merveilles qu’il prend plaisir à vous faire découvrir. Il est aussi membre de l'ACBD (Association des Critiques et journalistes de Bande Dessinée). Il est le rédacteur en chef du site Comixtrip.

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