L’exposition Moto Hagio : au-delà des genres

La déesse du shojo manga prend place au musée d’Angoulême. Moto Hagio est mise en exergue par Xavier Guilbert et Léhopold Dahan dans l’explosition « Moto Hagio, au-delà des genres ». Plongez dans un voyage en trois étapes à travers 55 ans de création. 

74 ans d’histoire

Campé devant un public avide, Xavier Guilbert, commissaire d’exposition, raconte. Dès l’enfance, Moto Hagio a été comme guidée vers le manga par une bonne fée. Benjamine dans une famille de quatre enfants, tous brillants, sa lubie du manga fait tâche dans le paysage. Mais le hazard fait que dans son lycée, une élève poursuit une carrière de mangaka en parallèle de ses études, Makiko Hirata. Elles s’installent à Tokyo et Makiko Hirata présente Moto Hagio à son éditeur. Ainsi sort sa première oeuvre Lulu to mimi. Xavier Guilbert est intarissable, décrivant des panneaux explicatifs succincts mais efficaces. D’une toile tissée de mots, le commissaire de l’exposition Moto Hagio : au-delà des genres dessine les liens entre l’autrice et l’oeuvre, indéfectible.

Moto Hagio - Exposition - Angoulême (crédit Marie Lonni / Comixtrip)

 

De son enfance à aujourd’hui, passant par la colocation des autrices de l’an 24 – expression que Moto Hagio n’apprécie pas beaucoup, explique Xavier Guilbert – l’exposition retrace ses liens avec Keiko Takemiya (Destination Terra), ses récits mis en concurrence (Le coeur de Thomas face à La Rose de Versaille de Riyoko Ikeda), ses récits de science-fiction, voire de speculative fiction (Red Star, Nous sommes 11) et ses histoires thérapeutiques (Sous la domination d’un dieu impitoyable, Ma part d’Ange, la Princesse Iguane). 

Moto Hagio - Exposition - Angoulême (crédit Marie Lonni / Comixtrip)

Un voyage en 3 temps

Ainsi, le visiteur déambule dans l’exposition retraçant l’oeuvre de l’autrice à travers 3 espaces : l’âge des possibles”, “la fin de l’innocence” et “le temps des conséquences”. Chacun rappelle combien l’autrice révolutionne le genre Shôjô en adaptant les codes de narration dynamique du shônen à l’introspection émotionnelle des personnages, d’une part. Mais d’autre part, comment Moto Hagio s’affirme en fondatrice du Boy’s Love. Non pas dans son versant charnel, mais dans sa forme intellectuelle. 

Menant des personnages masculins aux traits androgynes, l’autrice explore la vulnérabilité masculine, la tendresse, la fascination et l’amour tout en s’interrogent sur ce qui fait identité. L’autrice déconstruit le lecteur par ses livres et l’exposition nous amène à comprendre comment.

« Je préfère écrire des personnages masculins car je peux les idéalisés, explique Moto Hagioce que je ne peux pas faire, en tant que femme, dit-elle dans un rire, avec des personnages féminins. »

Moto Hagio - Exposition - Angoulême (crédit Marie Lonni / Comixtrip)

163 sur 17 000

Moto Hagio étant l’unique dépositaire de son travail, les commissaires d’expositions ont pu choisir 163 illustrations originales dans un éventail de 17 000. Une majorité d’entre elles ne sont pas éditées en France et certaines, pour le plus grand bonheur des lecteurs, sont en couleur. Ainsi, l’exposition du Musée d’Angoulême nous permet de découvrir nombre d’oeuvres inédites. Parmi lesquelles Red Star et « Sous la domination d’un dieu impitoyable » (titre traduit). 

Moto Hagio - Exposition - Angoulême (crédit Marie Lonni / Comixtrip)

Cette dernière histoire, la plus longue que l’autrice ait écrite, est un exutoire, explique le commissaire d’exposition. Sans doute l’oeuvre la plus violente de l’autrice – un beau-fils se fait violer par son beau-père au point de l’assassiner, lui et sa mère – cette série lui permet de régler ses comptes avec elle-même et ouvre la voie aux autres histoires thérapeutiques qui lui permettront de renouer avec ses parents.

L’artiste

Brillante narratrice aux codes immersifs, Moto Hagio joue avec le volume des cases, brisant le quatrième mur de la page dans une double narration subtile et délicate. L’artiste virovolte dans une valse d’encre et de bulle. Chacune des pages originales de l’exposition est d’une élégance folle, justement mise en valeur par une lumière tamisée.

 

Les quelques rares planches couleurs surprennent, sublimes, le visiteur curieux. Elles nous permettent de redécouvrir les talents – rarement exploités- de l’autrice dans cette matière. Aussitôt, les planches nous emportent sur une planète rouge, dans un désert, un combat, un sentiment… Mais qu’importe, puisque l’exposition nous permet aussi de nous émerveiller des contrastes éloquents, des motifs incisifs dans les émotions des personnages autant que dans les pliures de leurs vêtements.

Moto Hagio - Exposition - Angoulême (crédit Marie Lonni / Comixtrip)

L’exposition Moto Hagio : au-delà des genres

Cette exposition, réalisée par Xavier Guilbert et Léopold Dahan, est à retrouver jusqu’au 17 mars 2024 au musée d’Angoulême. Moto Hagio est à retrouver chez Akata et Glénat.

Article posté le jeudi 25 janvier 2024 par Marie Lonni

Moto Hagio, au-delà des genres

Communiqué du festival d’Angoulême :

Le Festival d’Angoulême consacre une rétrospective exceptionnelle à Moto Hagio, autrice révolutionnaire et multi récompensée, dont la longue carrière est marquée par la diversité– de thèmes, de genres – et une soif absolue de liberté.

Fascinée par le manga depuis son plus jeune âge, Moto Hagio fait ses débuts en 1969 dans les pages du magazine pour filles Nakayoshi. Mais c’est en 1971, après avoir rejoint la revue Shôjo Comic, qu’elle se fait remarquer avec l’histoire Le Pensionnatde novembre, influencée par les écrits de Hermann Hesse. Alors que la production féminine de l’époque peine à se dégager de l’influence d’Osamu Tezuka, Hagio entame une véritable révolution dans le paysage du shôjo manga, en proposant des récits dont l’ambition et la gravité tranchent avec le tout-venant de la production.

En 1972, l’autrice se lance dans la grande fresque du Clan des Poe, chronique d’une famille de vampires où s’exprime toute la dimension littéraire de son oeuvre, et qu’elle viendra revisiter à plusieurs reprises dans sa longue carrière. En 1975,elle publie Nous sommes onze !, récit magistral de science-fiction dans lequel elle continue d’interroger les questions de genre, thématique récurrente au sein d’une production qui frappe par sa richesse et sa diversité. Plusieurs fois adaptée au cinéma, à la télévision ou au théâtre, Moto Hagio a été récompensée de nombreux prix et reconnue notamment« Personne de mérite culturel »en 2019 au Japon.

Couronnant plus de cinquante ans de carrière, l’exposition Moto Hagio, au-delà des genres évoquera l’histoire du shôjo manga et présentera le rôle essentiel de l’autrice dans sa véritable (ré)invention au début des années 1970. Articulée autour de trois thématiques fortes(“la fin de l’innocence” ou la construction d’un shôjo manga centré autour de personnages à l’aube de l’adolescence ;“l’âge des possibles” ou le recours à la science-fiction et au fantastique dans une exploration spéculative des rôles, des genres et des relations dans des sociétés imaginaires ; et “le temps des conséquences” ou l’inscription des récits dans un contexte désormais ancré dans la réalité contemporaine), cette rétrospective se veut comme une invitation à découvrir une oeuvre dont la place dans l’histoire de la bande dessinée mondiale demeure fondamentale.

Informations complémentaires

Moto Hagio, au-delà des genres

du 25 janvier au 17 mars 2024

Musée de la ville d’Angoulême, Square Girard II, Rue Corneille, 16000 Angoulême

Commissaires : Léopold Dahan et Xavier Guilbert

Scénographie : Soplo

Production : FIBD / 9e art +

À propos de l'auteur de cet article

Marie Lonni

"C'est fou ce qu'on peut raconter avec un dessin". Voilà comment les arts graphiques ont englouti Marie. Depuis, elle revient de temps en temps nous parler de ses lectures, surtout quand ils viennent du pays du soleil levant. En espérant vous faire découvrir des petites pépites à savourer ou à dévorer tout cru !

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