Entretien avec Gradimir Smudja

À l’occasion des Rendez-Vous de la Bande dessinée d’Amiens, Comixtrip a eu la très grande chance de pouvoir rencontrer Gradimir Smudja. L’auteur de Mausart participait à la 28e édition de ce festival afin d’y présenter, en avant-première, son dernier album, Jesse Owens, Des miles et des miles, sorti chez Futuropolis. Un échange riche en propos et en découverte d’incroyables dessins originaux. 

Depuis quand aviez-vous l’idée de faire un album sur Jesse Owens ?

J’avais dessiné quelques esquisses avant le COVID. C’était une période très difficile aux États-Unis avec George Floyd et les manifestations, Donald Trump. Pour moi, Jesse Owens est un grand champion, un champion olympique pour toujours. Pendant plus d’un an, j’ai travaillé sur le storyboard et j’ai trouvé une belle maison d’édition, Futuropolis, à qui j’ai présenté ce travail. Je suis content parce que ils ont trouvé le courage de publier mon album.

Jesse Owens, Des miles et des miles de Gradimir Smudja chez Futuropolis

Comment définiriez-vous Jesse Owens ?

C’était quelqu’un de très honnête et très humble, un vrai champion qui n’était pas dopé.

« Ce chat noir est l’alter ego de Jesse Owens, c’est son ami imaginaire, il n’existe pas. »

Vous avez décidé de confier la narration de votre album à un chat. Comment vous est venue cette idée, un peu fantastique ?

Ce chat noir est l’alter ego de Jesse Owens, c’est son ami imaginaire, il n’existe pas. C’est contre les superstitions qui existent à l’égard des chats noirs qui portent malheur. Celui-ci porte bonheur. J’ai dessiné ce chat noir, mais il n’est visible que par Jesse Owens. Enfin presque. J’ai aussi représenté la petite-fille de Jesse Owens dans l’album, parce qu’elle aussi voit le chat noir.

Ce chat est spécial, comme l’était Jesse Owens, qui est devenu ce grand champion olympique.

Jesse Owens, Des miles et des miles de Gradimir Smudja chez Futuropolis

« Cet album parle de ségrégation, mais aussi de la Grande Dépression, de racisme, d’esclavage, de la Seconde Guerre mondiale. »

Votre album parle de sport, mais il parle aussi de la condition des Noirs aux États-Unis et de la ségrégation. Peut-on dire que c’est également un album politique et historique ?

C’est exactement ça. La ségrégation a été une période très difficile dans le Sud et en Alabama. L’enfant Jesse Owens était très fragile. Cet album parle de ségrégation, mais aussi de la Grande Dépression, de racisme, d’esclavage, de la Seconde Guerre mondiale. Une vie difficile pour ces Américains.

Jesse Owens, Des miles et des miles de Gradimir Smudja chez Futuropolis

Mon livre veut porter un message sur l’utilité de faire du sport pour les enfants. C’est une façon de s’intégrer socialement et peut-être de devenir un grand champion comme Jesse Owens.

Quand vous montrez Jesse Owens enfant, vous le montrez en train de courir en permanence.

C’est une histoire qui parle d’un jeune enfant qui a peur d’une souris et de tout ce qu’il y a autour de lui. Cela donne un rythme à mon histoire. Mais ses problèmes grandissent au fur et à mesure qu’il grandit, comme quand il doit faire face par exemple au Ku Klux Klan.

Jesse Owens, Des miles et des miles de Gradimir Smudja chez Futuropolis

« J’ai travaillé pendant quatre ans et réalisé 128 planches. »

Pendant combien de temps avez-vous travaillé sur cet album ?

J’ai travaillé pendant quatre ans et réalisé 128 planches. Les planches originales sont très grandes et vraiment très belles. Je travaille en traditionnel, comme un vieux dinosaure sans utiliser l’ordinateur.

Jesse Owens, Des miles et des miles de Gradimir Smudja chez Futuropolis

« Pour ce storyboard, j’ai presque fait 2000 esquisses. »

Vous avez travaillé seul sur cet album, comment avez-vous procédé pour le créer ?

Ma tête est en perpétuel mouvement. Je fais un storyboard très complet avec ma narration que j’enrichis chaque jour avec de plus en plus de détails. Pour ce storyboard, j’ai presque fait 2000 esquisses. Il ressemble déjà une bande dessinée.

Gradimir Smudja nous a proposé d’aller chercher son classeur où se trouvent ses esquisses en format A3, pour nous montrer la façon dont il a travaillé sur l’album Jesse Owens, Des miles et des miles.

Gradimir Smudja, RDVBD d'Amiens. crédit photos Claire Karius/Comixtrip

« J’aime beaucoup dessiner et j’ai un grand amour pour la bande dessinée. »

Voilà donc à quoi ressemble votre outil de travail.

Ce sont les esquisses et le synopsis que j’ai présentés à Claude Gendrot et à son équipe chez Futuropolis. J’aime beaucoup dessiner et j’ai un grand amour pour la bande dessinée.

En tant qu’ancien professeur des beaux-arts, j’aime beaucoup travailler à la peinture. Mon précédent album était Au fil de l’art, une Histoire de la peinture en deux tomes. J’ai également travaillé sur Vincent Van Gogh et Toulouse-Lautrec (Le Cabaret des muses).

Cet album était parfait pour travailler de façon traditionnelle. J’utilise un papier spécial pour aquarelle de fabrication allemande qui coûte très cher.

Gradimir Smudja, RDVBD d'Amiens. crédit photos Claire Karius/Comixtrip

Quand vous terminez vos esquisses, celles-ci sont-elles définitivement figées ?

Non, je change parfois le dessin entre l’esquisse et le dessin définitif. L’esquisse me permet d’anticiper une réalisation qui sera encore plus belle. Le travail préparatoire est très important.

Gradimir Smudja, RDVBD d'Amiens. crédit photos Claire Karius/Comixtrip

En travaillant sur Jesse Owens, vous avez également travaillé sur le racisme.

Le travail que j’ai fait sur Jesse Owens est vraiment très particulier. Il y a beaucoup de stéréotypes raciaux, mais ils sont indispensables quand on travaille sur le racisme, une thématique qui n’est pas évidente.

Le banjo est un instrument né en Zambie. Cet instrument africain est venu avec les esclaves dans les bateaux. Aujourd’hui, il représente un stéréotype du racisme aux États-Unis, mais paradoxalement pas en France.

Jesse Owens, Des miles et des miles de Gradimir Smudja chez Futuropolis

Parlez-nous des rencontres importantes dans la vie de Jesse Owens.

Larry Snyder était policier, mais il était aussi entraîneur d’athlétisme à l’université de l’Ohio. C’est un anti-stéréotype des policiers de cette époque. Il n’était pas corrompu et n’a pas vu en ce garçon noir, un criminel. Il a été son entraîneur et ils ont construit une amitié entre eux.

Jesse Owens, Des miles et des miles de Gradimir Smudja chez Futuropolis

Luz Long était un aristocrate prussien et le symbole de l’aryen pour Joseph Goebbels et Adolf Hitler. C’était quelqu’un de bien, il était fan de Jesse Owens. Il était contre la théorie de la supériorité des aryens. En raison de sa deuxième place aux Jeux Olympiques de Berlin, il a été envoyé sur le front de la Sicile. Après la guerre, Jesse Owens est devenu ami avec son fils Carl Long.

Jesse Owens, Des miles et des miles de Gradimir Smudja chez Futuropolis

Dans cet album, vous montrez bien la différence de traitement des athlètes en fonction de la couleur de leur peau.

Jesse Owens, Des miles et des miles de Gradimir Smudja chez Futuropolis

Après sa victoire, quelque chose change dans la vie de Jesse Owens. Mais pas tant. On le voit avoir du mal à trouver un hôtel à son retour à New York. Et lors de son retour en Alabama, le monde n’a pas changé. La personne de Roosevelt est une énigme totale. Il n’a pas voulu serrer la main de Jesse Owens après sa victoire aux Jeux Olympiques de Berlin. Tout comme Hitler.

Jesse Owens, Des miles et des miles de Gradimir Smudja chez Futuropolis

C’est une histoire triste à laquelle le Président Ford a mis fin. Il a remis à Jesse Owens la plus grande distinction des Etats-Unis, la Médaille de la Liberté (Medal of Freedom). En 1976, après les Jeux Olympiques de Montréal, Gerald Ford a invité les champions olympiques à la Maison Blanche. Il a demandé que Jesse Owens soit présent et lui a présenté ses excuses pour 40 ans d’injustice.

Et en 1984 aux Jeux Olympiques de Los Angeles, c’est Gina Hemphill, la petite-fille de Jesse Owens qui a porté la flamme olympique.

Pourquoi avez-vous choisi, dans cet album, de mélanger fiction et réalité?

Il y a dans cet album des anecdotes imaginaires qui se mélangent avec la réalité de faits historiques documentés.

Jesse Owens, Des miles et des miles de Gradimir Smudja chez Futuropolis

« Mon univers est fait d’un mélange entre animaux et humains. »

Au point parfois de se demander ce qui est vrai et ce qui est inventé.

Cela dépendra des personnes qui liront l’album. La vérité à 100% n’existe pas. Ce n’est pas une biographie classique, c’est aussi une fable, avec un animal qui apporte du fantastique.

Mon univers est fait d’un mélange entre animaux et humains. Dans mon album précédent, il y a également un chat qui est plus génial que Van Gogh.

Que pensez-vous de la date de parution de cet album sur Jesse Owens ?

Mon éditeur a trouvé que c’était la période la plus juste pour publier cet album sur Jesse Owens. Deux mois avant le début des Jeux Olympiques de 2024. Cet album sortira bientôt également en néerlandais, en serbe, en italien et en polonais.

Jesse Owens, Des miles et des miles de Gradimir Smudja chez Futuropolis

« La France est vraiment très riche en anecdotes relatives à l’Art. »

Quels sont vos projets à venir ?

Je vais continuer à travailler avec Futuropolis,  une histoire qui se déroule à Paris en 1938, juste avant la Seconde Guerre mondiale. Je vais évoquer le Louvre, ses tableaux et ses trésors à travers Jacques Jaujard. Ce directeur du Musée du Louvre, va transférer des œuvres d’art vers le château de Chambord. Il fera évacuer plus de 4000 tableaux afin de les protéger.

Cet homme va faire partie de la Résistance. Pendant la guerre, il va rencontrer Franz von Wolff-Metternich, un officier allemand du 3e Reich, qui va le protéger. En 1952, cet Allemand reçoit la Légion d’Honneur des mains du général de Gaulle. Ce sera le seul soldat allemand qui la recevra.

L’amour de l’art a rassemblé ces deux hommes. C’est une très belle histoire pour laquelle j’ai déjà réalisé 2000 esquisses. La France est vraiment très riche en anecdotes relatives à l’Art.

 

Merci beaucoup Gradimir Smudja de nous avoir accordé un peu de votre précieux temps afin d’échanger sur votre dernier album Jesse Owens, Des miles et des miles sorti le 05 juin 2024 chez Futuropolis.

 

Interview réalisée le vendredi 31 mai à Amiens, dans le cadre des Rendez-vous de la Bande Dessinée.
Interview, retranscription et mise en plage réalisées par Claire Karius
Article posté le vendredi 07 juin 2024 par Claire Karius

Jesse Owens, Des miles et des miles de Gradimir Smudja chez Futuropolis
  • Jesse owens, Des miles et des miles
  • Auteur : Gradimir Smudja
  • Éditeur : Futuropolis
  • Prix : 24,00€
  • Parution : 05 juin 2024
  • IBAN : 9782754834926

Résumé de l’éditeur : Né en 1913 en Alabama dans une fratrie de 11 enfants, petit-fils d’esclave, Jesse Owens est resté célèbre comme quadruple champion olympique aux jeux de Berlin. Si on n’oublie jamais de préciser qu’Hitler avait refusé de lui serrer la main, Jesse Owens complétait : «c’est le président Roosevelt qui m’a snobé. Il ne m’a même pas envoyé un télégramme. À mon retour aux États-Unis, je ne pouvais pas m’asseoir à l’avant des autobus, je devais m’asseoir à l’arrière, je ne pouvais pas vivre là où je le voulais». Pour raconter cette histoire d’enfant qui court tout le temps, poursuivi par des hordes de sauterelles, un ours, des policiers, le Ku Klux Klan et ensuite des athlètes, Gradimir Smudja a choisi la fantaisie, l’humour et le grand spectacle. Comment ne pas être ébahi par les planches splendides de l’artiste ? Norman Rockwell n’est jamais très loin. Et s’il faut faire appel à un chat pour raconter cette fresque, c’est pour mieux raviver notre coeur juvénile.

À propos de l'auteur de cet article

Claire Karius

Passionnée d'Histoire, j'affectionne tout particulièrement les albums qui abordent cette thématique. Mais pas seulement ! Je partage ma passion de la bande dessinée dans l'émission Bulles Zégomm sur Radio Tou'Caen et sur ma page Instagram @fillefan2bd.

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