Alors que la 28e édition des Rendez-Vous de la Bande dessinée d’Amiens se profile, la rédaction de Comixtrip est allée à la rencontre de Sophie Mille, la nouvelle directrice du festival. Elle nous a expliqué comment s’était déroulé le passage de témoin entre Pascal Mériaux et elle. Puis elle est revenue sur les enjeux de cette manifestation, qui n’en finit pas de grandir.
Sophie Mille, quelle place avait la bande dessinée dans votre vie avant d’intégrer l’organisation des Rendez-vous de la bande dessinée (RDVBD) d’Amiens ?
Elle était vraiment minime. Ça a vraiment été une découverte en 2018. Je ne viens pas du monde de la bande dessinée mais de celui du spectacle vivant. Je suis une cultureuse pur jus, cela fait 20 ans que je travaille dans la culture, plutôt dans le spectacle. J’ai toujours été une très grosse lectrice, la bande dessinée étant marginale. Maintenant, j’en lis tous les jours.
Pouvez-vous nous expliquer ce qui s’est déroulé en 2018 ?
Il s’agit d’un concours de circonstances puisqu’à l’époque j’étais régisseuse générale, donc intermittente du spectacle. L’association On a Marché sur la Bulle (OAMSLB) a fait appel à moi en raison d’un gros challenge à relever avec le déménagement du festival vers la Halle Freyssinet. Je suis donc intervenue sur la partie technique logistique.
J’avais décidé que ce serait ma dernière mission puisque je voulais arrêter l’intermittence, après 15 ans, en raison d’un besoin de me poser. Je devais signer un contrat avec Amiens Métropole pour m’occuper de tous les événements de l’Agglo.
« La majorité des gens vient de la BD et ce sont des passionnés. »
Vous connaissiez donc les RDVBD d’Amiens ?
Oui mais en tant que festivalière, dans l’ancien lieu qui était la fac.
En 2018, j’ai rencontré le médium, puis ensuite ce fut l’équipe. OAMSLB fait maintenant partie de ce qu’on appelle le Pôle Bande Dessinée des Hauts-de-France. C’est une grosse structure avec ses 19 salariés. J’ai aimé la complémentarité qui existait dans cette équipe. La majorité des gens vient de la BD et ce sont des passionnés. Ils la vivent au quotidien et ils sont très forts pour la transmission.
Quand ils m’ont rappelée deux ans après pour reprendre la coordination du festival, je n’ai pas hésité longtemps. Il y avait également ce gros projet avec l’ancien bâtiment du tri postal, donc des enjeux. Tout me plaisait.
Sophie Mille, comment s’est déroulée la transmission entre Pascal Mériaux et vous ?
Cela s’est fait de façon progressive et naturelle. J’assurais la partie coordination du festival, tout en me détachant rapidement de toute la partie technique et en coupant avec mes anciennes habitudes. Quand je me lance dans un projet, j’ai besoin de vraiment m’y intégrer.
J’ai donc pris des responsabilités en dehors de la coordination pure. Je suis allée sur les questions de communication et de relations avec la presse. J’avais besoin de cette vision globale sur la manifestation. Très naturellement, Pascal Mériaux m’a donné de plus en plus de dossiers. Donc, quand on m’a proposé de reprendre la direction du festival, c’était comme une continuité naturelle, en aucune façon, un changement radical pour nous.
L’acceptation de ce poste allait de soi.
Oui je l’ai accepté de façon plutôt spontanée. Il y a un véritable challenge puisque je passe derrière Pascal Mériaux, qui a créé cette manifestation, qui porte le Pôle à bout de bras depuis presque 30 ans.
L’enjeu n’était pas négligeable, mais avec une équipe très solide. Je connaissais l’ancrage associatif important et bien construit. De même pour l’ancrage des salariés qui sont vraiment très investis autour de moi. Cela ne m’a donc pas inquiétée.
Être une femme dans le monde du 9e Art, est-ce un désavantage ? Surtout en ce qui concerne la direction de festival.
Je ne suis pas seule, la preuve avec les femmes qui dirigent les festivals de Colomiers, Bastia ou Formula Bula. En ce qui concerne les neuf membres fondateurs du Club 99, on est presque à parité avec les hommes.
Je viens de l’intermittence du spectacle, dans la partie technique, il y a encore moins de femmes. Mes équipes étaient quasiment composées qu’avec des hommes. Mais ça n’a jamais été un frein et je ne me pose pas ces questions-là. J’y vais de manière naturelle, c’est peut-être générationnel.
Et est-ce que cela peut impacter la direction que va prendre le festival ?
Je sais que je vais être vigilante à la place que vont occuper les autrices dans le festival. Mais n’importe qui à mon poste le ferait. C’est un sujet d’actualité et d’importance. C’est aussi une question qui se pose en interne chez nous au sein de la cellule artistique.
La présence des autrices dans les festivals est une question dont mes collègues directeurs se sont également emparés.
« Je récupère un navire qui est vraiment bien lancé. »
Sophie Mille, comment voyez-vous donc cette nouvelle mission ?
Le changement dans la continuité. C’est une évidence pour ce festival qui est en plein essor. D’année en année, les partenariats augmentent. De même pour l’accueil de la presse, des auteurs et des éditeurs, on sent que le festival a le vent en poupe. Je récupère un navire qui est vraiment bien lancé. C’est pour cela qu’il faut être vigilant et ne pas se reposer sur ses acquis.
Cette année encore, on fera l’analyse de cette nouvelle édition, à la fois du côté salarié et du côté bénévole, afin d’être en alerte.
J’ai entamé des discussions avec la cellule artistique au sujet de la BD indépendante. Il faut qu’on voie comment faire pour valoriser toute cette BD indépendante. C’est un axe sur lequel j’ai très envie de réfléchir.
Les questions écologiques ne sont pas tellement liées au 9e Art, mais ce sont des questions que nous nous posons tous quelle que soit la manifestation. Nous avons entamé des démarches pour que notre manifestation soit plus verte et plus vertueuse.
Et parmi les axes déjà pointés, quels sont ceux que vous voulez renforcer ?
Le soutien à l’émergence, que ce soit pour les jeunes auteurs ou autrices, mais également pour les maisons d’édition indépendantes. Tous les ans, nous mettons un coup de projecteur sur une maison d’édition indépendante, mais j’aimerais qu’on puisse aller au-delà.
Nous avons entamé un travail avec Anthony Pardi, notre coordinateur du festival et chargé de mission manga. Cela commence à porter ses fruits quand je vois la confiance que nous accordent les maisons d’éditions françaises et japonaises.
Quelle sera la maison d’édition mise en avant lors de cette 28e édition ?
Ce sera Alifbata, en raison des liens avec l’actualité (Le pain nu, Dans le taxi, Une révolte tunisienne). Ce n’est pas forcément une maison d’édition que j’avais dans mon radar, mais quand j’ai découvert leur production, je me suis dit que c’était ce dont on avait envie. Bien sûr il faut des grands noms et des expositions grand public, mais il faut davantage accompagner ce genre de projets
Sophie Mille, quels sont les liens qui existent entre les RDVBD d’Amiens et d’autres structures ?
Pour la première année, nous allons avoir un nouveau format de rencontres qui sera animé par Céline Bagot, la directrice du Pop Women Festival à Reims. Une table ronde intitulée Faire Famille et estampillée Pop Women Festival. On a trouvé très intéressante leur façon de maîtriser les tables rondes et de les aborder. Donc nous avons accordé un créneau dans l’auditorium au Pop Women Festival. Ce festival n’est pas un festival de BD, même si certains auteurs et autrices de BD y sont invités.
Les partenariats, que nous nouons à l’année, ont également une visibilité lors du festival. Tout étant une question de temps et de moyens, nous aimerions aller partout pour coproduire des expositions avec d’autres manifestations. Écologiquement, c’est très important. Pouvoir mutualiser au niveau de l’ingénierie, c’est quelque chose dont on a très envie.
Pouvez-vous nous parler du Club 99 et de ses objectifs ?
C’est sur ce déploiement de moyens techniques et financiers qu’il est très important de réfléchir dès la conception des expositions. Ainsi qu’à la façon dont elles pourraient circuler. Au sein du Club 99, c’est un sujet qu’on veut développer.
Il existe maintenant des plateformes pour mutualiser, qui vont du simple prêt de matériel à bien plus. On aimerait bien créer ce genre d’outil. Ces problématiques sont partagées par tout le monde.
Neuf membres font actuellement partie du Club 99. Êtes-vous amenés à vous ouvrir à d’autres ?
Oui l’idée est de rallier le plus possible de manifestations liées au 9e Art et arts associés, avec peut-être dans un premier temps des critères comme des festivals subventionnés par le CNL ou la Sofia. Il y a des critères d’adhésion à la charte des valeurs du club, dans un souci de cohérence.
De plus, gérer une fédération ne se fait pas avec une seule réunion par mois. Mais l’idée est de pouvoir très vite ouvrir. Donc chaque membre fondateur va créer une journée pour présenter le club à tous les festivals de sa région. Ici on le fera le 8 juin, sur un weekend intermédiaire, dit muséal. Nous pourrons accueillir les manifestations au sein de la Halle Freyssinet et discuter de la façon dont le club a été monté.
Qu’en est-il d’un possible déménagement du festival hors de la Halle Freyssinet ?
C’est le projet du tri postal qui est juste à côté. C’est un bâtiment de 11 000 m2 proche de nos bureaux. On va déménager avec le FRAC Picardie et l’école Waide Somme qui fait de l’animation 3D. Tous nos locaux administratifs vont déménager là-bas. Nous disposerons de deux grands plateaux, que nous partagerons avec le FRAC, pour s’y faire dérouler le festival. Il y a un projet immobilier autour de la Halle depuis quelques années et on sait depuis le début que c’est une solution provisoire. Même si on est très attachés à cet endroit.
« On essaie tous les ans de renouveler nos formats de rencontres. »
Quels seront les temps forts de cette 28e édition des RDVBD d’Amiens ?
On a tellement de temps forts qu’il est très difficile de n’en sélectionner que quelques-uns.
Nous aurons La Veillée animée par Patrick Baud. On est ici plusieurs à aimer ce qu’il fait, c’est un scénariste. On aime ce format qu’il a créé avec Damien Maric. Faire cette veillée spéciale RDVBD le samedi, je suis persuadée que ça va bien fonctionner. On a hâte de découvrir les auteurs et autrices qu’on a invités pour partager des anecdotes qui n’ont rien à voir avec la BD et ainsi les découvrir autrement.
Ce format sera payant et se tiendra le samedi 1er juin à 19h. On fermera la halle à 18h et on rouvrira l’auditorium pour La Veillée. Seront présents Fabien Toulmé, Zelba, Marie Spinale, Isabelle Maroger, Davy Mourier et Run.
Ce plateau est vraiment diversifié et complémentaire. On essaie tous les ans de renouveler nos formats de rencontres.
Comme les années précédentes, un concert dessiné est-il prévu ?
Nous aurons pour la quatrième fois un concert dessiné qui se tiendra à la Maison de la Culture. Il se fait en collaboration avec la collection Do Ré Mi Chat des Éditions de la Gouttière. La prochaine parution sera L’Onde de Léa Mazé et Frédéric Maupomé, mise en musique par l’Orchestre de Picardie.
Le concert aura lieu le dimanche 3 juin à 17h à la maison de la Culture. Cette fois, c’est la 8e Symphonie de Schubert, la Symphonie Inachevée, qui servira de support à la projection des images. À chaque fois, on retrouve une poésie dans ces tous concerts.
Pouvez-vous nous parler des expositions qui se tiendront lors de cette 28e édition ?
L’exposition consacrée à Guillaume Singelin sera une rétrospective sur quatre ouvrages, PTSD, Frontier, Loba Loca et The Grocery. L’idée est de créer quatre espaces différents pour quatre univers différents et de pouvoir naviguer entre eux dans une véritable immersion. On a pu récupérer plus de 80 originaux de Guillaume, en format A4, format sur lequel il travaille.
L’exposition collective Bulles vertes sera sur l’écologie dans la bande dessinée. C’est la quatrième année qu’on crée ce genre d’exposition collective pour montrer comment certains auteurs et autrices s’emparent d’un sujet. On peut ainsi confronter leurs visions.
Nous avons obtenu notre tout premier partenariat avec Crunchyroll et la série Haikyu!!, qui parle du volley. Le lien avec les Jeux Olympiques est facile. On va recréer l’univers du terrain, des vestiaires, de l’équipe avec l’exposition Viser le sommet!!.
Nous aurons des jeux autour d’Haikyu!!, un jeu de piste avec Ana et l’Entremonde dans la Halle et beaucoup d’animations pour le jeune public.
Qu’en est-il des expositions pour le jeune public ?
Bienvenue à Bibiville est une exposition pour les plus petits. On a travaillé avec les Éditions 2024 qui créent des expositions. C’est une location, dans un souci de limiter les investissements en matières premières.
Pour les expositions que nous avons réalisées, il y a Cap vers l’Entremonde. C’est mon premier co-commissariat donc j’y tiens vraiment. Elle sera très bien parce que les auteurs (Marc Dubuisson et Cy) se sont beaucoup investis et nous ont accompagnés sur ce projet. De plus, il y avait beaucoup de matière sur les deux premiers albums.
Avez-vous prévu des séances de dessin en live ?
Évidemment, mais en plus cette année, on a créé des conditions pour que les gens puissent se poser et profiter de ces moments en live dans le hall.
« Des hordes d’enfants viendront inaugurer le festival avant nous. »
Quelle place avez-vous donnée aux scolaires ?
Dès la semaine qui précède le festival, nous accueillons les scolaires pendant cinq jours, plus de 2000 élèves. Des hordes d’enfants viendront inaugurer le festival avant nous. C’est le point d’orgue de deux projets menés durant l’année avec des collégiens et des lycéens. Les auteurs seront présents, il y aura une remise de prix et les élèves pourront se rendre compte de leur investissement pendant une année.
Ce partenariat entre l’Éducation nationale et le festival est très important.
Cela fonctionne tellement bien qu’on a ajouté d’autres journées. Maintenant nous avons le Prix des primaires. Chaque année, nous avons de nouveaux dispositifs et c’est important de valoriser ce que chacun fait. On ne peut pas communiquer sur tout ce que nous faisons, donc le festival est idéal pour montrer tout ce que nous faisons tout le long de l’année.
« On est arrivés à une espèce de maturité. »
Sophie Mille, le travail de médiation est très important chez OAMSLB.
Le département éducatif de OAMSLB représente six salariés, dont quatre médiateurs du livre pour plus de 800 demi-journées d’intervention par an. Le face à face pédagogique est notre plus grosse activité. Avec l’accompagnement des auteurs, Les Éditions de la Gouttière et la bulle exposition, on est arrivés à une espèce de maturité qui structure le pôle et nous permet de couvrir tous les champs qu’on pouvait explorer ici au niveau du 9e Art.
Avec l’ouverture d’une classe à horaires aménagés BD dès la 6e, puis la Licence et le Master, on est devenus un partenaire incontournable de l’Education nationale et c’est une véritable reconnaissance.
Merci Sophie Mille pour cet entretien passionnant qui nous a permis de mieux connaître ces Rendez-Vous de la Bande Dessinée d’Amiens.
ENTRETIEN RÉALISÉ PAR DAMIEN CANTEAU ET CLAIRE KARIUS LE VENDREDI 10 MAI 2024
RETRANSCRIPTION ET MISE EN PAGE : CLAIRE KARIUS
28e édition des Rendez-Vous de la Bande Dessinée d'Amiens
La 28e édition des Rendez-Vous de la Bande Dessinée d’Amiens
à la Halle Freyssinet, rue de la Vallée à Amiens
- 1er et 2 juin 2024 (expositions, animations, rencontres et dédicaces)
- 8 et 9 juin 2024 (expositions seulement)
- 15 et 16 juin 2024 (expositions seulement)
- 22 et 23 juin 2024 (expositions, animations, rencontres et dédicaces)
L’accès à la Halle Freyssinet se fait par la rampe d’accès rue Dejean, face au bar-tabac Le Dejean.
La Halle est ouverte de 10h à 18h.
Et le festival est totalement gratuit !
Pour consulter le programme : le site des RDV BD d’Amiens