Après une série d’entretiens consacrée à des autrices, j’ai eu le plaisir de rencontrer Yannick Corboz, qui nous a accordé un peu de son temps pour nous parler, entre autres, de sa dernière sortie en collaboration avec Stephen Desberg “Les rivières du passé” chez Daniel Maghen.
Peux-tu te présenter pour qu’on puisse te connaître un peu mieux ?
Je m’appelle Yannick Corboz, je fais de la bande dessinée depuis 15 ans. Après un bac S, j’ai fait une école de dessin (Emile Cohl à Lyon). J’ai commencé dans les jeux vidéo chez Infogrames, puis chez Ubisoft et enfin je me suis mis à mon compte pour faire de l’illustration et de la bande dessinée.
J’ai commencé avec Nicolas Pothier avec qui j’ai fait “Woody Allen” et “Voies off”. C’était un bon début. J’ai ensuite rencontré Wilfrid Lupano avec qui j’ai participé à “Célestin Gobe-la-Lune”, une histoire qu’il avait déjà écrite. En parallèle, on a travaillé sur “L’assassin qu’elle mérite” dont on a sorti quatre tomes.
Je suis revenu chez Ubisoft pour travailler sur “Assassin’s creed”, la version multi player.
Depuis, je suis revenu à cent pour cent dans la bande dessinée avec » Brigade Verhoeven” en compagnie de Pascal Bertho, une adaptation de romans de Pierre Lemaitre. Et enfin j’ai travaillé avec Stephen Desberg sur “Les rivières du passé”.
Comment passe-t-on du jeu vidéo à la bande dessinée ?
J’ai fait de la bande dessinée à l’école, ça me plaisait. Ce qui est difficile, c’est d’être complet sur plein de points et je ne me sentais pas d’attaquer une bande dessinée.
J’ai commencé par des histoires courtes chez Bodoï et chez Métal Hurlant, c’est comme cela qu’est née l’idée de “Voies off » avec Nicolas Pothier. C’était plus facile de me lancer dans la bande dessinée avec de petites histoires, c’est moins d’engagement. Pour moi, faire une bande dessinée me prend un an, un an et demi.
C’est donc le temps que tu as mis pour ce dernier album ?
Ça s’est étalé sur presque deux ans. Le deuxième ira plus vite. Pour démarrer ça met un petit peu de temps. Il y a beaucoup de recherches graphiques, des essais, des allers retours pour le scénario avec le scénariste, et l’éditeur qui donne son avis.
Quelles sont tes influences pour ton travail ?
C’est d’abord le scénario. Stephen Desberg a écrit cette histoire pour que je puisse la dessiner, on a pas mal parlé de littérature, de l’influence des peintres, c’est important pour moi. Ainsi que d’autres bandes dessinées, de l’illustration classique.
Ça vient en fonction des discussions. J’ai des idées qui me viennent en tête et qui peuvent être liées à des influences. Il faut trouver l’idée la plus évidente, la plus fluide,
Sur le tome un, il y a beaucoup de franco-belge, du comics, c’est très old-school. Une de mes grosses références en peinture, c’est Victor Hugo, ses dessins.
Je suis entouré de livres, parfois je les regarde, mais j’évite de trop les ouvrir, ça peut avoir une mauvaise influence sur mon travail. Les super dessinateurs, il faut éviter de dessiner comme eux et essayer d’être un minimum authentique.
Quand tu travailles sur une bande dessinée combien êtes-vous ?
L’éditeur est très important dans le travail. Un coloriste, comme Sébastien Bouët, le super coloriste de « Brigade Verhoeven »,. C’est un vrai travail d’équipe. Sur « Les rivières du passé », on a également travaillé avec un lettreur.
Quel impact est-ce que ça a de travailler avec un lettreur ?
Ça change tout, j’aimerais pouvoir écrire les textes, mais je n’ai pas une écriture spécialement lisible. Mon écriture à moi c’est le dessin.
Il y a un gros travail de lettrage, il a refait les onomatopées pour leur donner du peps, tout en gardant l’esprit d’origine.
Comment se passe la collaboration avec les scénaristes ?
Avec Nicolas Pothier, au début c’étaient des histoires courtes, donc beaucoup d’échanges. Avec Wilfrid Lupano, il est venu avec une histoire déjà écrite, puis il en a écrit une spécialement pour moi. Pour « L’assassin qu’elle mérite » on a monté un dossier qu’on a proposé chez l’éditeur, d’abord chez Delcourt notre éditeur, puis chez d’autres. On a accepté la proposition de Vent d’Ouest qui est Glénat, ça s’est très bien passé.
Pour « Brigade Verhoeven », c’est Nadia Gibert directrice de collection chez Rue de Sèvres qui m’a proposé le projet d’après les quatre livres. J’ai lu le premier « Travail Soigné », c’est « Irène », il est très glauque. Puis j’ai lu »Alex », qui sera le prochain qui va sortir. Enfin « Rosie » qui est devenu le tome 1 (d’après « Rosie and John ») c’est le plus léger de tous, il a servi à présenter les personnages. Je travaille sur Alex en même temps qu’un autre projet. Il faut s’organiser, ce n’est pas trop difficile.
Où vis-tu actuellement ?
Je vis en Angleterre à Londres.
Et ça ne pose aucun problème pour travailler avec les auteurs qui habitent en France ?
Stephen Desberg vit en Belgique. De toute façon, ça revient au même avec le covid. Mon quotidien ne change pas, je travaille sur mes planches depuis mon bureau et on se téléphone en visio avec les éditeurs et les co-auteurs.
Passons à » Les rivières du passé », est-il bien prévu en deux tomes ?
Oui, il est prévu en deux tomes. Le prochain sortira dans un an (mars 2021). C’est l’histoire d’une jeune fille à qui on demande de voler un bijou et qui en essayant de le récupérer, met le pied dans un truc bizarre. Elle passe une porte magique et bascule dans un monde parallèle, un monde médiéval où tout est plus sombre. On se rend compte que dans ce monde, il y a une menace matérialisée par des Shayks, des monstres informes entre le loup et le crocodile.
C’est l’histoire de deux femmes Linn et Lamia, dont les destins se recoupent dans une seule histoire, un mix entre l’aventure et la fantasy.
En quoi est-ce différent de travailler avec Lupano et avec Desberg ?
Ils travaillent différemment, il y a une génération de différence entre-eux. Stephen Desberg a commencé la bande dessinée avant les années 80, il a un grand répertoire. Ceci dit, il s’est bien adapté à ce que je fais.
Avec Wilfrid Lupano, on est presque de la même génération, on a la même culture de bande dessinée. Ce n’est pas plus facile, c’est autre chose. Pascal Bertho a un découpage très carré. Nicolas Pothier est encore différent.
Ce sont quatre styles de scénaristes. Au niveau technique, ils font tous des découpages en séquences, en pages ou certains en cases en fonction de ce qu’on veut raconter.
Comment se passent les échanges sur le découpage ?
Au début, on fait plus un synopsis et on donne les intentions de l’histoire. J’ai déjà travaillé en parallèle sur les personnages et les ambiances pour voir si on est bien calés.
Le scénariste va faire le découpage technique d’abord en séquences, puis qui peut être en pages et en cases. On passe par le storyboard pour s’accorder sur l’histoire. Je peux faire des suggestions comme rajouter une page ou une case, supprimer un texte qui prend trop de place ou coupe le rythme. Alors il y a un échange concret par l’image et on va itérer jusqu’à ce qu’on soit contents. Ca peut m’arriver de passer à côté d’une intention du scénariste.
Les éditeurs sont là aussi pour nous recadrer, ils sont d’accord sur le synopsis mais ils ont du recul par rapport à tout ça.
Quelle partie de ton travail préfères-tu ?
Sur « Les rivières du passé », c’est moi qui ai fait les couleurs, j’aime bien toutes les étapes. La partie la plus créative est sur le storyboard, on va se projeter pour savoir à quoi va ressembler la bd.
Ensuite je fais un crayonné. C’est la structure, pour que ce soit plus fluide, faire attention que les personnages soient cohérents d’une case à l’autre.
La partie encrage est plus minutieuse, il faut faire des belles planches. Je travaille sur ordinateur et sur papier.
Dans « Les rivières du passé », il y a une dizaine de planches qui sont faites sur papier, le reste sur ordinateur. J’utilise un logiciel qui permet d’avoir des techniques d’encrage classiques et j’ai une cohérence entre le papier et l’ordinateur.
La couleur permet de poser les ambiances. Linn est rousse, il faut qu’elle soit reconnaissable.
La partie sur laquelle je travaille le moins c’est le scénario. Mais ça m’intéresserait de travailler dessus.
Envisages-tu de faire ta propre bande dessinée, dessin et scénario ?
Un jour oui, mais il y a des scénaristes de talent donc j’en profite. Il faut avoir les idées, le temps. Ça me fait un peu peur, mais j’y vois de super possibilités.
Dans tes personnages, il y a toujours une femme rousse ? Pourquoi ?
Oui c’est vrai dans « L’assassin qu’elle mérite », dans « Célestin-Gobe-la-Lune », dans « La Brigade Verhoeven ». Ça vient comme ça, j’aime bien dessiner les femmes, il y a aussi des blondes, des brunes.
Envisages-tu de faire un Art Book ?
J’ai déjà fait un livre Aquarelles avec une série d’aquarelles réalisées entre 2007 et 2017. C’est un super bouquin assez épais édité chez Snorgleux.
Quelles sont les références à la peinture que tu introduis dans ton travail ?
Dans le tome 2, je suis à fond sur Turner. Dans le tome 1, sans spoiler, c’étaient des aquarelles de Victor Hugo qui m’ont bien aidé dans mon travail sur les ambiances, le côté sombre et lumineux.
Est-ce que tu glisses des private jokes dans tes albums ?
Un peu, mais en fait ce sont des chats cachés. C’est mon logo en plus d’Instagram.
J’avais un petit chat qui est décédé il y a six mois. Elle m’a accompagné pendant dix-sept ans quand je faisais des bandes dessinées. Elle était tout le temps avec moi, sur moi, sur mes dessins, sur mon clavier, sur ma tablette. Une petite chatte noire avec la queue blanche, elle est quasiment dans toutes mes bandes dessinées.
As-tu également fait une version noir et blanc ?
Ce n’était pas prévu au départ, c’est venu quand on a fait l’album. Au milieu, j’ai retravaillé mes planches pour sortir un noir et blanc. C’est une version très réussie avec un format plus grand, plus cher, différente de la version couleur au final. Je me suis bien fait plaisir à essayer d’avoir un équilibre graphique.
Comment fais-tu pour avoir cette impression de travail sur papier ?
La mise en couleur est numérique et j’utilise un fond qui ressemble à du papier. Cela donne un grain à la couleur. Je la travaille comme de l’aquarelle mais c’est plus facile en numérique de travailler les plans les uns par rapport aux autres. C’est important d’avoir un rendu comme si c’était de l’encre.
Comment s’est fait le choix de deux femmes comme personnages principaux ?
Au départ il y avait Linn et un deuxième personnage qui était complémentaire. Lamia est arrivée après.
Peux-tu nous confirmer que Linn est bien inspirée des dessins de René Gruau ?
C’est carrément vrai, j’adore et j’aimerais que mes personnages soient plus René Gruau, mais en bande dessinée, je n’ai pas le talent de le faire. Ses femmes sont élégantes et ça fait partie de mes références.
Combien de temps mets-tu pour faire une couverture et ici même les deux ?
Il y a deux personnes dans l’édition, l’éditeur qui nous accompagne et qui a du recul, et le boss, Daniel Maghen, qui nous a demandé de retravailler les couvertures. Au départ on avait prévu un gros plan sur Linn et puis finalement ça a changé. J’ai eu l’idée de la couverture de la version noir et blanc que j’ai mise en couleur.
Daniel Maghen a suggéré de faire d’autres propositions et j’ai pensé à Linn qui est sur les toits.
De toute façon, ça allait tourner autour de Linn puisque le tome 2 ce sera Lamia.
Paris en fond était vraiment important parce que c’est là où commence l’histoire. C’est une aventure qui va aller sur d’autres terres.
La discussion sur cette couverture a dû prendre deux mois et le travail en lui-même a duré une trentaine d’heures, une semaine.
Et pour le titre de l’album ?
Au départ il s’appelait Paris 2018, mais ça n’allait pas. C’est devenu Linn, puis « La voleuse ». « Les rivières du passé », c’est la proposition de Stephen Desberg qui a mis tout le monde d’accord et ravi par cette proposition.
Tu as fait plusieurs couvertures de magazines spécialisés dans la bande dessinée. Qu’est-ce que cela apporte ?
C’est super d’avoir une interview dans ces trois magazines (Casemate, dBD et Zoolemag). Et pour la couverture aussi, ça permet d’être visible un peu partout. Au niveau promotion, c’est génial.
Tu avais déjà fait un hors-série ?
C’était un hors-série érotique, suite à une exposition à la galerie Glénat fin 2019. Il y avait beaucoup de femmes que j’avais dessinées, parfois nues et ça a beaucoup plu. Elles ont fini dans le magazine et en couverture. C’était une bonne surprise.
Comment se passent tes relations avec tes éditeurs ?
Mon éditeur est Vincent Odin, c’est lui qui s’occupe de tout le bouquin, du début à la fin.
En fait, tous les éditeurs avec qui j’ai travaillé, chez Delcourt, Vent d’Ouest, Treize Étrange, Rue de Sèves et Daniel Maghen, sont supers, tous différents dans leur façon de travailler, c’est un vrai échange à chaque fois.
C’est un accompagnement. Et ce n’est pas parce que je change d’éditeur que ça se passe mal, je suis toujours en contact.
As-tu les premiers retours sur l’album ?
C’est très positif, donc ça nous fait bien plaisir.
Quels sont tes prochains projets ?
Le tome 2 des Rivières du passé pour l’année prochaine, le tome trois de La Brigade Verhoeven qui devrait sortir normalement cet automne.
Je travaille sur d’autres projets mais je n’ai rien de concret pour l’instant.
Quel est ton dernier coup de cœur bande dessinée ?
J’ai beaucoup aimé le dernier Gipi, Moments extraordinaires sous faux applaudissements, mais qu’il va falloir que je relise parce que je n’ai pas tout capté.
Il y a « Blanc autour » de Wilfrid Lupano et Stéphane Fert que je vais lire prochainement.
Merci beaucoup Yannick Corboz pour ce temps que tu nous as accordé.
Cet entretien et sa retranscription ont été réalisés en collaboration avec Claire @fillefan2bd dans le cadre du live qui s’est tenu le mercredi 03 février sur la page Instagram de Yoann @livressedesbulles .
Vous voulez en savoir plus, n’hésitez pas à regarder la vidéo ici.
- Les Rivières du passé – T1 La Voleuse
- Scénariste : Stephen Desberg
- Dessinateur : Yannick Corboz
- Editeur : Daniel Maghen
- Prix : 16 €
- Parution : 11 février 2021
- ISBN : 9782356740960
Résumé de l’éditeur : Lynn, jeune paumée et voleuse surdouée, s’empare d’un médaillon égyptien et bascule dans un Paris médiéval. Même endroit, mais une autre époque et autre Histoire… À Paris de nos jours, on suit les pas d’une jeune femme solitaire et sauvage. Elle pratique la seule activité pour laquelle elle est incroyablement douée : Lynn est une voleuse ! Son dernier coup de maître : dérober pour le compte du sulfureux Argonivitch un médaillon du Dieu Aton dont aucune représentation n’existait à ce jour. En essayant d’échapper à la propriétaire du joyau, Lynn traverse une porte et se trouve projetée dans un Paris parallèle, moyenâgeux, dans lequel l’Histoire ne s’est pas déroulée de la même façon…
À propos de l'auteur de cet article
Claire & Yoann
Claire Karius @fillefan2bd & Yoann Debiais @livressedesbulles , instagrameurs passionnés par le travail des auteurs et autrices de bandes dessinées, ont associé leurs forces et leurs compétences, pour vous livrer des entretiens où bonne humeur et sérieux seront les maîtres-mots.
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